« Je te demanderai juste de venir me rejoindre à Lenalaserine. Je répondrais à toute les questions qui te remplissent la tête en ce moment même. Bienvenue chez les mages noirs. Car je sais d'avance que tu vas accepter mon offre. Tu as toujours eu une part sombre en toi et c'est le moment de l'exploiter. »
Vàli savait ce qu'il devait faire à présent. Tant de questions, tant de réponses à connaître. Comment son frère pouvait-il être encore en vie ? Était-ce un usurpateur ? Il ne pouvait le savoir. Mais il devait en avoir le cœur net et voir le visage de son petit frère. Ainsi, il s'était mis en route en direction de la capitale. Après quelques heures de marche, il était arrivé au devant d'une étendue d'eau magnifique. Celle-ci étincelait d'un bleu cristallin et les quelques vagues lui donnaient une aura humble et relaxante. Jamais il n'avait vu ça auparavant, lui qui ne connaissait que la tourmente et la solitude. S'approchant du bord, il huma l'air frais et se permit de prendre une pause pour contempler ce splendide tableau. De l'eau, des arbres, quelques touches de vert ici et là, quelques pentes et vallées pour orner le tout. Il semblait se perdre dans la tranquillité ambiante, ne pensant à rien d'autre qu'au vent soufflant sur l'eau. Il se rapprocha du bord et regarda l'être qu'il était dans le reflet tortueux. Un jeune homme amaigri, cerné et mal soigné. Une goule au teint livide qui ne savait pas quoi faire de sa vie. Qui se posait tant d'interrogations. D'un geste de la main, il balaya son reflet ce qui eut pour effet de laisser place à un autre visage. Le visage d'un monstre. Le visage de Binah. Son ami imaginaire avait des yeux fait de pourpres et des crocs dégueulant par-dessus ses lèvres. Des cornes longeaient chaque coté de son crâne dépourvu de cheveux. Il semblait ricaner. Aussitôt le jeune homme se releva et regarda derrière lui.
Personne.
Et lorsqu'il se retourna pour à nouveau plonger son regard dans l'eau, Binah n'était plus là. Ce n'était que lui, le dévoreur de chaires humaines. « Putain de merde ! Tu vas continuer longtemps ce petit jeu !? Pourquoi ne m'adresses-tu plus la parole ? Qu'ai-je fait de mal pour que tu te comportes comme ça !? Putain d'enfoiré ! » grommela-t-il, cassant le rythme tranquille du lac. Quelques volatiles s'envolèrent au loin tandis qu'il tourna les talons, reprenant son périple sans se reposer. Et, alors qu'il reprenait le sentier qu'il longeait, le vent se mit à tourner en contre-sens. Un murmure s'éleva au loin. Venait-il de sa tête ? Ou était-il bien réel ? Vàli était confus au point de penser qu'il perdait la tête. Le murmure prit plus d'ampleur et il entendit ces quelques mots : « Longe le lac, continue ton chemin et engouffre toi dans les ruines. Pitioss t'attends... ». Il n'était pas fou. Ce murmure était bien réel et semblait venir d'un peu plus loin. Réfléchissant un instant sur la situation, il croisa les bras et observa une nouvelle fois le lac. « Les gens se foutent de moi ?Pitioss ? C'est quoi de ce délire ? Un ami de Binah ? Pff, tant qu'à faire, autant aller voir ça. ». Il écouta alors le murmure et longea le bord du lac. Quand bien même l'herbe était haute et montait à ses genoux, il pouvait voir les traces d'une ancienne route, avec quelques pavés exhibitionnistes et couverts de mousses. Après quelques minutes à marcher, à monter, à descendre, il se retrouva face à un vestige du passé. Une façade discrète mais mystique qui se cachait entre arbres de chaque cotés et flaque d'eau gigantesque juxtaposée.
Vàli s'avançait alors pour contempler de près ce vestige inopiné. L'entrée semblait toute faite, bien ouverte et enclin à accueillir de curieux visiteurs. C'était étrange mais sans plus. Les statues jonchant les cotés semblaient être en mauvais états cela dit et certaines semblaient vouloir perdre leurs têtes. Juste au-dessus de l'entrée, le visage d'un monstre cornu trônait. De grands yeux de pierre et une gueule béante pourvue de crocs qui feraient pâlir un dragon. Les yeux quelque peu écarquillés, le néophyte de l'aventure continua de marcher vers l'entrée. Il n'y avait aucun bruits hormis celui de l'eau s'écoulant quelque part. « Quest-ce que je vais bien pouvoir foutre là-dedans moi ? Tout seul en plus. Je suis autant désespéré que ça ? A écouter des bruits étranges venu de nul part ? Bordel, je sens que je vais le regretter... »
Crochet du droit. Petit pas en arrière, esquive basse, uppercut en plein dans les dents. Il est désorienté. Je presse mon avantage. Je suis sur lui. Coup de tête, je lui bourre le ventre, le roue. Il se roule au sol. Bien.
« Salaud ! Tu crois que tu peux t’en sortir comme ça ? »
Il veut répondre, du sang lui sort de la bouche, je ne lui laisse pas le temps, il ne peut que couiner. J’arrête de le fracasser un instant, je le relève, le remet sur ses pieds. Il tremble de peur. Il aimerait fuir. Je l’attrape par les cheveux, j’écarte son cou, je relève doucement mon masque et j’y plonge mes canines. Il voudrait se débattre mais il est trop faible. Je prends deux ou trois gorgées bien goulues. C’est mon salaire, je rend les rues plus sûres après tout. Je m’essuie rapidement la bouche avec ma manche puis je le repousse. Il tombe en arrière. Satané voleur, il a cru qu’il pouvait semer le désordre dans ma ville. Je ne fais que lui rendre la monnaie de sa pièce : il s’apprêtait à molester des passants pour prendre leur argent. Quand on a faim, quand on veut s’en sortir, on vole des nécessités, pas de l’argent, ou on se vend au marché. Je le sais, j’ai passé une bonne partie de ma vie réduit en esclavage. Il y a de bons maîtres. Je n’ai juste pas eu de chance.
« Que je ne t’y reprenne plus. La prochaine fois je te vide et j’en fais du boudin, d’accord ? »
N’attendant pas de réponse, je pars, disparaissant dans la nuit. Je vais me cacher dans une bâtisse abandonnée après avoir fait quelques détours pour semer d’éventuels poursuivants. Je retire mon masque, je cache le reste de mon uniforme.
Victor prend le reste de la route. Il rentre d’un pas mal assuré, presque suspect tant il vérifie ses arrières. Il n’a pas peur pour sa sécurité mais pour son intimité. Il ne voudrait pas que le monde d’en bas, qu’il aime penser qu’il terrorise, découvre ce qu’il était sans son masque. Et qu’on le lui retire. Ce serait pire que tout.
Il s’effondre sur un fauteuil dans son taudis. La nuit commence à se terminer, à laisser sa place au petit jour. Loué soit Lumenal. En ce moment, toutefois, il n’avait pas de grosse cible. Le mois de juillet. Le calme. Les pires criminels ont besoin de vacances. Où les criminels vont-ils en vacances ? C’était une pensée amusante mais que le vampire écarta comme ridicule.
Toutefois... S’il n’avait plus grand chose à faire ici, il ferait bien d’aller voir ailleurs. En avait-il les moyens, en ce moment ? Les finances, c’était pas trop ça, il faut l’avouer. Mais... Il avait déjà travaillé sur un bateau. Peut-être qu’il pourrait rentrer dans un équipage, le temps d’un voyage ? Il voulait aller vers Nueva mais, depuis Everbright, le voyage était long. Peut être une escale à Mearian aussi, ce qui ne l’arrangeait pas, il ne voulait pas s’arrêter dans ces sales contrées pleines d’hérétiques. Voler un bateau, ce serait plus ou moins possible, mais il ne le voulait pas, à moins que ce soit un bateau de ces sales contrebandiers. Nueviens d’ailleurs. Il pouvait faire d’une pierre deux coups. Peut être pas voler le bateau, mais se cacher dedans le temps du voyage et retenir leurs visages, leurs noms, pour faire quelque chose d’eux à l’arrivée, oui...
Le soir tombe à nouveau. J’ai passé la journée à somnoler. Une fois mon second visage mis en place, je suis de nouveau la Mascarade et j’ai besoin d’informations. Sur le port d’Everbright, la meilleure place pour trouver des informations sur des bandits et autres malfrats ? Le lycan-qui-boîte bien sûr ! Ils me connaissent bien... Je dois faire attention en rentrant, le patron a une arbalète maintenant et quand il voit mes gants pousser la porte, il tire, il me connaît. Je me plaque sur le côté et je fais semblant de rentrer. Ça ne manque pas. Le tir aurait touché dans le mille, si ça avait été moi. Mais c’était juste un gant porté à bout de bras. Dommage pour lui. Je pénètre à l’intérieur le temps qu’il recharge. Les regards se portent tous sur moi, colère mêlée d’angoisse. Je n’ai pas que ça à faire. Je me met au bar.
« Lâche ça, je ne veux pas d’ennuis ce soir.
- Comme tous les soirs, hein ! Qu’est ce que tu viens foutre ici je t’ai déjà dit de ne jamais revenir. Ça t’a pas suffit l’autre fois ? »
L’autre fois. Ils m’avaient attendu et je me suis fait rosser à l’arrière du bar par des gens assez patibulaires. Ils ne me connaissaient pas encore assez. Ils allaient me démasquer pour voir à qui ils avaient affaire, j’ai perdu le contrôle. Je crois que je n’ai tué personne vu que le patron est toujours là.
« Relax. J’ai besoin d’un passage pour Nueva. T’as pas un petit gars qui transite ce soir, dis ? J’avais élevé la voix afin que tous m’entendent. Personne ne voudrait vraiment de moi sur son bateau mais je suivais des regards, j’observais.
- Qu’est ce que j’en sais de ça moi, j’ai l’air d’une agence de tourisme ou comment ça se passe ? Bon tu bois un truc ou t’es encore venu nous faire chier avec tes histoires ?
- Mets un rhum. Et un de tes bonbons là. Ils sont délicieux. »
Je relève légèrement mon masque, comme de coutume. Comme à chaque fois, le patron essaie de deviner s’il m’a déjà vu avant. En vain.
Mon observation a déjà porté ses fruits, je ne reste qu’en attendant de pouvoir suivre les hommes que j’ai repérés. À l’instinct, j’ai cru deviner qui avait une petite opération cachée car si la plupart des gens baissent les yeux ou font mine de m’ignorer, j’ai vu plusieurs regards se tourner vers une tablée, avant de remarquer que je les regardais moi même. Ils détournèrent vite le regard mais trop tard : j’avais tout vu. J’espère que ce n’est pas un piège. Je n’ai pas que ça à foutre.
Je mâche tranquillement mon bonbon quand ils commencent à partir. Je paie ma note sans faire d’histoire et je pars quelques instants après eux. Ils vont effectivement vers le port. Ils souhaitent déguerpir à la faveur de la nuit, apparemment. Le voyage serait assez long et ils rentrent avec du bon butin. Je les vois charger des tonneaux. Ils ont l’air lourds. Parfait. Alors qu’ils s’apprêtent à charger les derniers, je fais une diversion en lançant une caillasse sur un truc métallique qui traînait au sol non loin. Le bruit les attire, les inquiète. Ils ne veulent pas être repérés. Ils regardent dans la direction opposée des tonneaux. Je me faufile, grâce aux ombres et aux bâtiments du ports, derrière eux. Je réussis, grâce à leur inquiétude et leur quasi certitude d’avoir été repéré, à m’infiltrer sur le bateau. Je me rends dans la cale, je me planque derrière des tonneaux déjà chargés, j’attend.
Le voyage est effectivement long et très peu confortable. Je n’ai pas le mal de mer mais mon espace est confiné, réduit. Les matelots sont moins attentifs depuis que nous sommes loin de la côte Akhantienne. Tant mieux, je commençais à avoir du mal à me retenir de faire mes besoins et je ne voulais pas faire là où je dors aussi. J’entends des disputes parfois. Normal, je leur vole des provisions et ils sont assez rationnés déjà. Ça leur apprendra à faire passer des marchandises sans payer les taxes.
Je ne sais pas combien de temps nous avons mis pour arriver, mais ça a été assez long. J’ai eu du mal à discerner le jour et la nuit et à compter les jours car il arrivait que je ne puisse pas sortir de la cale du tout. Je quitte le navire avant d’arriver à Lelanaserine, je ne veux pas avoir à participer au déchargement et surtout à fuir ces types. Je pourrais les fracasser, sans doute, mais en plein jour, devant trop de monde, trop risqué. Je ne sais pas s’ils ont des amis sur place. Plutôt fuir avant. Je leur laisse un message d’au revoir sous la forme d’un ration à moitié mangée laissée à côté d’un d’entre eux, ronflant. Je ne serai pas là pour voir comment ils résoudraient cette affaire mais... Ça m’amuse déjà.
Je rejoins la cote à la nage, ce qui me prit plus d’efforts que ce que j’aurais imaginé mais j’y parviens. Je me hisse sur le sol au prix de quelques derniers efforts. Je crois qu’à ce moment j’ai perdu connaissance, car il faisait nuit quand je suis arrivé et le soleil était un peu haut quand je me suis réveillé. Il faisait assez chaud, j’avais séché, tant mieux.
Je me frotte pour m’épousseter un peu, puis je marche un peu dans les terres. Étant donné que je n’ai aucune idée d’où je suis, je n’ai aucune idée de par où est Lelanaserine. Génial. Ça fait un moment que je n’ai pas eu de sang, non plus. J’ai plus l’habitude que je ne devrais, je tiens. Mais sans nourriture, sans vivres, si je me perds... J’aurais du mal, dans quelques jours. J’espérais que ça n’en arriverais pas là.
Ah, Nueva ! C’est beau. Plein de lacs. J’en boirais bien un peu l’eau, il faut dire que j’ai été très rationné en eau potable pendant tout ce voyage. Il paraît qu’il ne faut pas trop. Peu m’importe. Je prends quelques gorgées de l’eau clair, je ne sens rien de spécial. Très bien.
Je faisais le tour, un peu, de ces nombreux lacs, en me demandant s’il n’y avait pas quelque chose comme un panneau que je pourrais avoir, des indications géographiques, un sentier, une piste. Ça semblait compromis. Au loin, je pouvais voir des genres de ruines. Je m’en rapprochais. Il doit y avoir, peut être, des gens, des archéologues, des braconniers, des panneaux, quelque chose. Tien, j’ai oublié mon panneau à la maison. En même temps, difficile à faire passer à bord. J’irai m’en refaire un avec le bois du bateau de mes gracieux passeurs, hé hé. Enfin, plus tard.
Alors que je me rapproche, j’entends du bruit. C’est léger. Mais on dirait quelqu’un. J’accélère le pas afin de le rejoindre. Qu’est ce qu’il marmonne, lui ? Il a l’air seul. Mais il a aussi l’air de pénétrer dans ces ruines peu ragoûtantes, là. Pourquoi faire ? Ça n’avait pas l’air commode. Il n’avait pas l’air d’un archéologue, non plus, ou d’un historien, ou de qui que ce soit d’officiel. En même temps, y avait-il qui que ce soit d’officiel à Nueva pour s’occuper de ces ruines ? Y restait-il seulement quoi que ce soit, à l’intérieur, ou ces pilleurs de marchands avaient-ils tout vidé déjà pour se faire quelques piécettes ?
Quoi qu’il en soit, en se rapprochant et, ignorant l’architecture pour se concentrer sur cette personne que je vois, je lance :
« Hé toi, qu’est ce que tu fais là dedans ! C’est un truc nuevien de piller les tombes ou est ce que tu t’es dit qu’aller t’enfermer dans une ruine vétuste qui menace de s’effondrer c’était une bonne idée ? As-tu seulement le droit d’être ici hein ? Je baissais ma voix après cette diatribe afin de réfléchir à voix haute : enfin c’est pas très gardé non plus donc si c’est interdit les autorités ne sont pas très efficaces... et recommençais plus haut : Peu importe, je SUIS une autorité. On ne descend pas sans moi. Et on me répond. Qu’est ce que c’est que cet endroit ? »
Ce disant, je m’étais rapproché, mais je me méfiais. Je gardais une certaine distance avec mon vis à vis, une distance de sécurité. Je suis masqué et habillé entièrement avec ma petite panoplie qui cache tout mon corps, gants, bottes, grand manteau, donc on ne peut pas me reconnaître, à moins de déjà avoir entendu parlé du justicier, de la MASCARADE, mais tant que je n’ai pas pu déterminer l’attitude de cette personne, je ne peux pas me rapprocher. On ne peut jamais prendre trop de précautions en territoire inconnu. Et puis bon, au mieux, il trouverait la capitale mieux que moi et je pourrais le suivre (plus ou moins avec son consentement) et au pire... Ça fait longtemps que je n’ai pas bu de sang. Mais je ne suis que la Justice, je n’ai pas envie d’en arriver là. Je crois.
« Salaud ! Tu crois que tu peux t’en sortir comme ça ? »
Il veut répondre, du sang lui sort de la bouche, je ne lui laisse pas le temps, il ne peut que couiner. J’arrête de le fracasser un instant, je le relève, le remet sur ses pieds. Il tremble de peur. Il aimerait fuir. Je l’attrape par les cheveux, j’écarte son cou, je relève doucement mon masque et j’y plonge mes canines. Il voudrait se débattre mais il est trop faible. Je prends deux ou trois gorgées bien goulues. C’est mon salaire, je rend les rues plus sûres après tout. Je m’essuie rapidement la bouche avec ma manche puis je le repousse. Il tombe en arrière. Satané voleur, il a cru qu’il pouvait semer le désordre dans ma ville. Je ne fais que lui rendre la monnaie de sa pièce : il s’apprêtait à molester des passants pour prendre leur argent. Quand on a faim, quand on veut s’en sortir, on vole des nécessités, pas de l’argent, ou on se vend au marché. Je le sais, j’ai passé une bonne partie de ma vie réduit en esclavage. Il y a de bons maîtres. Je n’ai juste pas eu de chance.
« Que je ne t’y reprenne plus. La prochaine fois je te vide et j’en fais du boudin, d’accord ? »
N’attendant pas de réponse, je pars, disparaissant dans la nuit. Je vais me cacher dans une bâtisse abandonnée après avoir fait quelques détours pour semer d’éventuels poursuivants. Je retire mon masque, je cache le reste de mon uniforme.
Victor prend le reste de la route. Il rentre d’un pas mal assuré, presque suspect tant il vérifie ses arrières. Il n’a pas peur pour sa sécurité mais pour son intimité. Il ne voudrait pas que le monde d’en bas, qu’il aime penser qu’il terrorise, découvre ce qu’il était sans son masque. Et qu’on le lui retire. Ce serait pire que tout.
Il s’effondre sur un fauteuil dans son taudis. La nuit commence à se terminer, à laisser sa place au petit jour. Loué soit Lumenal. En ce moment, toutefois, il n’avait pas de grosse cible. Le mois de juillet. Le calme. Les pires criminels ont besoin de vacances. Où les criminels vont-ils en vacances ? C’était une pensée amusante mais que le vampire écarta comme ridicule.
Toutefois... S’il n’avait plus grand chose à faire ici, il ferait bien d’aller voir ailleurs. En avait-il les moyens, en ce moment ? Les finances, c’était pas trop ça, il faut l’avouer. Mais... Il avait déjà travaillé sur un bateau. Peut-être qu’il pourrait rentrer dans un équipage, le temps d’un voyage ? Il voulait aller vers Nueva mais, depuis Everbright, le voyage était long. Peut être une escale à Mearian aussi, ce qui ne l’arrangeait pas, il ne voulait pas s’arrêter dans ces sales contrées pleines d’hérétiques. Voler un bateau, ce serait plus ou moins possible, mais il ne le voulait pas, à moins que ce soit un bateau de ces sales contrebandiers. Nueviens d’ailleurs. Il pouvait faire d’une pierre deux coups. Peut être pas voler le bateau, mais se cacher dedans le temps du voyage et retenir leurs visages, leurs noms, pour faire quelque chose d’eux à l’arrivée, oui...
Le soir tombe à nouveau. J’ai passé la journée à somnoler. Une fois mon second visage mis en place, je suis de nouveau la Mascarade et j’ai besoin d’informations. Sur le port d’Everbright, la meilleure place pour trouver des informations sur des bandits et autres malfrats ? Le lycan-qui-boîte bien sûr ! Ils me connaissent bien... Je dois faire attention en rentrant, le patron a une arbalète maintenant et quand il voit mes gants pousser la porte, il tire, il me connaît. Je me plaque sur le côté et je fais semblant de rentrer. Ça ne manque pas. Le tir aurait touché dans le mille, si ça avait été moi. Mais c’était juste un gant porté à bout de bras. Dommage pour lui. Je pénètre à l’intérieur le temps qu’il recharge. Les regards se portent tous sur moi, colère mêlée d’angoisse. Je n’ai pas que ça à faire. Je me met au bar.
« Lâche ça, je ne veux pas d’ennuis ce soir.
- Comme tous les soirs, hein ! Qu’est ce que tu viens foutre ici je t’ai déjà dit de ne jamais revenir. Ça t’a pas suffit l’autre fois ? »
L’autre fois. Ils m’avaient attendu et je me suis fait rosser à l’arrière du bar par des gens assez patibulaires. Ils ne me connaissaient pas encore assez. Ils allaient me démasquer pour voir à qui ils avaient affaire, j’ai perdu le contrôle. Je crois que je n’ai tué personne vu que le patron est toujours là.
« Relax. J’ai besoin d’un passage pour Nueva. T’as pas un petit gars qui transite ce soir, dis ? J’avais élevé la voix afin que tous m’entendent. Personne ne voudrait vraiment de moi sur son bateau mais je suivais des regards, j’observais.
- Qu’est ce que j’en sais de ça moi, j’ai l’air d’une agence de tourisme ou comment ça se passe ? Bon tu bois un truc ou t’es encore venu nous faire chier avec tes histoires ?
- Mets un rhum. Et un de tes bonbons là. Ils sont délicieux. »
Je relève légèrement mon masque, comme de coutume. Comme à chaque fois, le patron essaie de deviner s’il m’a déjà vu avant. En vain.
Mon observation a déjà porté ses fruits, je ne reste qu’en attendant de pouvoir suivre les hommes que j’ai repérés. À l’instinct, j’ai cru deviner qui avait une petite opération cachée car si la plupart des gens baissent les yeux ou font mine de m’ignorer, j’ai vu plusieurs regards se tourner vers une tablée, avant de remarquer que je les regardais moi même. Ils détournèrent vite le regard mais trop tard : j’avais tout vu. J’espère que ce n’est pas un piège. Je n’ai pas que ça à foutre.
Je mâche tranquillement mon bonbon quand ils commencent à partir. Je paie ma note sans faire d’histoire et je pars quelques instants après eux. Ils vont effectivement vers le port. Ils souhaitent déguerpir à la faveur de la nuit, apparemment. Le voyage serait assez long et ils rentrent avec du bon butin. Je les vois charger des tonneaux. Ils ont l’air lourds. Parfait. Alors qu’ils s’apprêtent à charger les derniers, je fais une diversion en lançant une caillasse sur un truc métallique qui traînait au sol non loin. Le bruit les attire, les inquiète. Ils ne veulent pas être repérés. Ils regardent dans la direction opposée des tonneaux. Je me faufile, grâce aux ombres et aux bâtiments du ports, derrière eux. Je réussis, grâce à leur inquiétude et leur quasi certitude d’avoir été repéré, à m’infiltrer sur le bateau. Je me rends dans la cale, je me planque derrière des tonneaux déjà chargés, j’attend.
Le voyage est effectivement long et très peu confortable. Je n’ai pas le mal de mer mais mon espace est confiné, réduit. Les matelots sont moins attentifs depuis que nous sommes loin de la côte Akhantienne. Tant mieux, je commençais à avoir du mal à me retenir de faire mes besoins et je ne voulais pas faire là où je dors aussi. J’entends des disputes parfois. Normal, je leur vole des provisions et ils sont assez rationnés déjà. Ça leur apprendra à faire passer des marchandises sans payer les taxes.
Je ne sais pas combien de temps nous avons mis pour arriver, mais ça a été assez long. J’ai eu du mal à discerner le jour et la nuit et à compter les jours car il arrivait que je ne puisse pas sortir de la cale du tout. Je quitte le navire avant d’arriver à Lelanaserine, je ne veux pas avoir à participer au déchargement et surtout à fuir ces types. Je pourrais les fracasser, sans doute, mais en plein jour, devant trop de monde, trop risqué. Je ne sais pas s’ils ont des amis sur place. Plutôt fuir avant. Je leur laisse un message d’au revoir sous la forme d’un ration à moitié mangée laissée à côté d’un d’entre eux, ronflant. Je ne serai pas là pour voir comment ils résoudraient cette affaire mais... Ça m’amuse déjà.
Je rejoins la cote à la nage, ce qui me prit plus d’efforts que ce que j’aurais imaginé mais j’y parviens. Je me hisse sur le sol au prix de quelques derniers efforts. Je crois qu’à ce moment j’ai perdu connaissance, car il faisait nuit quand je suis arrivé et le soleil était un peu haut quand je me suis réveillé. Il faisait assez chaud, j’avais séché, tant mieux.
Je me frotte pour m’épousseter un peu, puis je marche un peu dans les terres. Étant donné que je n’ai aucune idée d’où je suis, je n’ai aucune idée de par où est Lelanaserine. Génial. Ça fait un moment que je n’ai pas eu de sang, non plus. J’ai plus l’habitude que je ne devrais, je tiens. Mais sans nourriture, sans vivres, si je me perds... J’aurais du mal, dans quelques jours. J’espérais que ça n’en arriverais pas là.
Ah, Nueva ! C’est beau. Plein de lacs. J’en boirais bien un peu l’eau, il faut dire que j’ai été très rationné en eau potable pendant tout ce voyage. Il paraît qu’il ne faut pas trop. Peu m’importe. Je prends quelques gorgées de l’eau clair, je ne sens rien de spécial. Très bien.
Je faisais le tour, un peu, de ces nombreux lacs, en me demandant s’il n’y avait pas quelque chose comme un panneau que je pourrais avoir, des indications géographiques, un sentier, une piste. Ça semblait compromis. Au loin, je pouvais voir des genres de ruines. Je m’en rapprochais. Il doit y avoir, peut être, des gens, des archéologues, des braconniers, des panneaux, quelque chose. Tien, j’ai oublié mon panneau à la maison. En même temps, difficile à faire passer à bord. J’irai m’en refaire un avec le bois du bateau de mes gracieux passeurs, hé hé. Enfin, plus tard.
Alors que je me rapproche, j’entends du bruit. C’est léger. Mais on dirait quelqu’un. J’accélère le pas afin de le rejoindre. Qu’est ce qu’il marmonne, lui ? Il a l’air seul. Mais il a aussi l’air de pénétrer dans ces ruines peu ragoûtantes, là. Pourquoi faire ? Ça n’avait pas l’air commode. Il n’avait pas l’air d’un archéologue, non plus, ou d’un historien, ou de qui que ce soit d’officiel. En même temps, y avait-il qui que ce soit d’officiel à Nueva pour s’occuper de ces ruines ? Y restait-il seulement quoi que ce soit, à l’intérieur, ou ces pilleurs de marchands avaient-ils tout vidé déjà pour se faire quelques piécettes ?
Quoi qu’il en soit, en se rapprochant et, ignorant l’architecture pour se concentrer sur cette personne que je vois, je lance :
« Hé toi, qu’est ce que tu fais là dedans ! C’est un truc nuevien de piller les tombes ou est ce que tu t’es dit qu’aller t’enfermer dans une ruine vétuste qui menace de s’effondrer c’était une bonne idée ? As-tu seulement le droit d’être ici hein ? Je baissais ma voix après cette diatribe afin de réfléchir à voix haute : enfin c’est pas très gardé non plus donc si c’est interdit les autorités ne sont pas très efficaces... et recommençais plus haut : Peu importe, je SUIS une autorité. On ne descend pas sans moi. Et on me répond. Qu’est ce que c’est que cet endroit ? »
Ce disant, je m’étais rapproché, mais je me méfiais. Je gardais une certaine distance avec mon vis à vis, une distance de sécurité. Je suis masqué et habillé entièrement avec ma petite panoplie qui cache tout mon corps, gants, bottes, grand manteau, donc on ne peut pas me reconnaître, à moins de déjà avoir entendu parlé du justicier, de la MASCARADE, mais tant que je n’ai pas pu déterminer l’attitude de cette personne, je ne peux pas me rapprocher. On ne peut jamais prendre trop de précautions en territoire inconnu. Et puis bon, au mieux, il trouverait la capitale mieux que moi et je pourrais le suivre (plus ou moins avec son consentement) et au pire... Ça fait longtemps que je n’ai pas bu de sang. Mais je ne suis que la Justice, je n’ai pas envie d’en arriver là. Je crois.