ft. Mavis
L'Isolement Curateur
Un désir brûlait dans le coeur du Simurgh.Voilà des jours qu’il arpentait les terres et les mers, sans s’arrêter pour autre chose que s’approvisionner. La pluie l’avait empêché de traverser la mer en volant et il s’était bien vite résigné à prendre un bateau pour se rendre dans la partie du continent qu’il n’appréciait guère. La créature haissait en effet tous ce qui concernait de près ou de loin à ces imposteurs qui se faisaient appelés dieux. Il voulait rester le plus loin possible d’eux. Cependant, il ne pouvait décemment pas se permettre d’ainsi limiter son territoire, cela aurait été un affront pire encore.
Il s’était alors rendu jusque là en bateau, bravant la pluie et la mer. Le Simurgh n’avait jamais été très à l’aise avec les bateaux, on pouvait même dire qu’il avait le mal de mer. Il n’avait jamais été fait pour naviguer, son domaine de prédilection restait, et resterait toujours le ciel. Le vol lui manquait terriblement, seule activité procuratrice de bonheur qui lui restait. Il avait longtemps soupiré. Pendant le trajet, pendant la pluie, pendant que les vagues ballottaient l’embarcation et lui retournaient l’estomac. Il avait fini par arriver non loin de Theopolis, cité qu’il s’empressa d’éloigner le plus possible.Il partit ainsi vers le Nord, dans les campagnes ponctuées de quelques bosquets moyens. L’endroit était peu fréquenté, il ne l’avait jamais vraiment été. Seul le secteur agricole, ainsi que la chasse d’une moindre mesure, amenait les gens vers les grandes plaines balayées par le vent. Par chance, la pluie avait cessé et seul un plafond de nuages gris et épais assombrissait le paysage d’une luminosité norme et ennuyeuse. Cet endroit avait-il toujours été ainsi à cette période de l’année ou le coeur desséché du Simurgh lui voilait-il le regard ? Il secoua la tête, détachant son regard des étendues vertes dont l’herbe, agitée par le vent, ressemblait à un océan. Il posa le regard sur un bosquet plus épais que les autres, plus loin encore. De sa position, la ville n’était plus qu’une tâche étrange et difforme dans le paysage. Il avança sans plus se retourner. Plus loin il se trouvait de cette satanée ville de décadence et d’hérétisme, mieux il se portait. Il se dit que cela faisait longtemps qu’il n’avait pas prié pour le retour des vrais Dieux.
Le soleil était encore invisible, mais la fraicheur et la rosée qui mouillait ses bottes lui indiquait qu’il ne se trouvait encore qu’en début de matinée. Le temps était une notion quelque peu abstraite pour le Simurgh, qui avait tôt fait de ne plus s’encombrer de sottises comme d’une année ou d’une date. Le rythme des saisons ainsi que la course du soleil restait seul indicateur du temps qui passait. Depuis combien de temps avait-il quitté Nueva ? Combien de temps avait-il voyagé en mer ? Il n’en avait aucune idée et cela ne l’inquiétait guère.
Il se rendit dans le bosquet, cela ne lui prit que peu de temps à coup de grandes enjambées. Il n’y avait personne aux alentours et, malgré son visage désespérément inexpressif, il se réjouissait de s’y cacher afin de laisser place à nouveau à son corps originel. Il s’engouffra entre les arbres. Les feuilles réduisaient encore plus la luminosité et une sorte de légère pénombre régnait sur le lieu, perforé par des rayons plus lumineux là où le feuillage ne poussait pas. Quelques oiseaux ici et là chantonnaient, attendant le retour du printemps. Le Simrugh, une fois au centre du bosquet et qu’il fût certain que personne n’aurait pu le voir en passant simplement aux abords des arbres, laissa tomber sac et vêtements un à un. Il rassembla le tout dans son sac après les avoir plié soigneusement. La créature n’avait aucun sens de la pudeur mais il possédait en revanche celui de l’ordre et du rangement. Il regarda une nouvelle fois autour de lui en inspirant longuement. Il n’y avait personne, tout était calme et le moindre craquement de bois aurait résonné dans tout le bosquet.
Il inspira et laissa le sort se dissiper. Son corps mua sans se presser, son corps se couvra de plumes, ses membres s’allongèrent, un museau remplaça son nez. Bientôt, le Simurgh retrouva sa forme mythique. Il s’ébroua avec contentement. Ses plumes lui avaient manqué atrocement. Il poussa un léger cri canin de satisfaction avant de frotter contre un arbre. Il y avait du bon à retrouver un semblant de comportement animal, même si il était tout à fait capable de parler sous cette forme. De toute façon il n’avait personne à qui parler et cette sereine solitude lui plaisait, comme à son accoutumée. Il s’allongea sur le tapis de feuilles et de mousse, les ailes étendues de manière paresseuse et posa sa tête sur une souche. Il voulait profiter de ce moment, c’était ce genre d’instant qui lui permettait encore et toujours de continuer d’arpenter le monde. Il ferma les yeux, ses oreilles demeuraient cependant dressées sur le moindre son.
En cet instant, il oubliait ne serait-ce qu’un tout petit peu, la mélancolie qui résidait dans son coeur.
- Adrenalean 2016 pour Bazzart.