L’ange était allongé sur la terre meuble, ses ailes protégeant sa peau laiteuse des intenses émanations de l’astre, l’un de ses immortels peuplant la peau bleue d’Ouranos. Le jeune homme s’en souvenait encore, avec un rictus, de ce jour où il avait été pris de cette envie, de cette tentation de se poser sur le « monde de lumière ». Il tentait de s’élever vers une terre radieuse et dénuée de la moindre impureté commise par les races. Mais hélas, tel Icare, il ne put que se brûler les ailes, bien entendu au sens singulier du terme.

Depuis, il ne cessait de contempler la beauté de cet océan stellaire pour se donner du courage et de la force. Assis confortablement, l’orphelin réfléchissait à son avenir en tant que Magister, guerrier de la théocratie qui dirigeait son pays. Comme tout mortel, Alec était pris d’un doute croissant. Après tout, seuls les fous et les déséquilibrés ne doutaient point. Une question ne cessait de le hanter : son rôle défendait la religion ou la patrie ?

Il n’avait jamais été un fervent croyant du « Séraphisme ». Il ne remettait pas en doute sa foi envers ceux-ci, mais il ne possédait point d’attrait particulier pour l’un des dogmes de son église, pour l’une des divinités du Panthéon. Tout comme un grec ne saurait choisir entre Zeus et Poséidon, l’ange ne saurait choisir son « élu » dans la vingtaine d’anges supérieurs qui peuplaient ce monde. Abnégation ? Il n’en connaissait point le sens et le terme. Amour ? Son cœur n’avait jamais été ravi par quelques créatures avec lesquelles l’ange avait découvert les plaisirs de la chair. Force ? Pouvait-il réellement prouver un exploit de force ? Ses meurtres ne trahissaient point la sélection naturelle, cet ordre divin qui régissait les aspects de la création. Au sommet de la chaîne alimentaire, il n’ôtait la vie qu’à de pauvres bêtes plus faibles que sa personne.

Le « faucon grisonnant » continua, plongé dans une conversation avec son double imaginaire, listant une à une les vertus de ses protecteurs. Il en vint à la conclusion qu’il n’appartenait à aucune des factions, aucun des covens. Il se sentit à part, un être coupé de tout lien avec le système coutumier de ses compatriotes. Un "divergent", sa nature profonde divergeait… Un risque dans cet état encore totalitaire. Un souvenir affreux lui vint en mémoire :

Flashback

Le temps n’était point clément en ce jour. Tonnerre et pluie emplissait le ciel de leur fureur. Le déluge avait tôt fait de remplacer la cacophonie par le bruit régulier des gouttes dans les rues de la capitale, Théopolis. Pour autant, un étrange attroupement se tenait devant une estrade. Le bois grinçait sous les bourrasques impétueuses, mais la construction tenait bon. L’air était empli d’une étrange brume opaque. L’ange fut obligé de se couvrir le nez et la bouche, tant l’odeur qui se dégageait fouettait n’importe qui de sa puanteur. Il s’avança en direction de la foule, en quête d’information sur cette terrible tragédie nauséabonde. Il tapota l’épaule d’un homme, laissant sa voix claire s’exprimer :

«-Messire, pourrais-je connaître la raison d’un tel attroupement ?

-Comment vous n’êtes pas au courant ? Ces lieux viennent d’être souillés par les restes d’un non-croyant, d’un hérétique. Ces fous daignent remettre en cause nos traditions, en prônant nombre de propos scélérats , lui répondit le gentilhomme, une lueur de triomphe dans les yeux.

- Les non-croyants sont jugés sur le bûcher pour le simple fait de ne pas accorder, derechef, leur allégeance à nos divinités ?, demanda l’ange à l’homme.

- D’où sortez-vous, mon jeune compagnon, de la campagne ? L’hérésie est la pire des insultes, le crime absolu. Ce crime mérite donc une mort exemplaire, afin que nos enfants ne poursuivent pas le but obscur que ce sont donnés ces détracteurs, lui répondit le vieil homme.»

Le spectacle n’avait rien de ragoutant. Les mains, ou du moins ce qu’il en reste, reliés à un morceau de bois, le corps calciné retombant mollement sur lui-même. L’ange en fut horrifié. L’homme commettait des erreurs et la religion apprenait une certaine forme de cohésion et de pardon. Pourtant, un enfant des astres périssait en cet instant dans les flammes infernales, coupables de quelques paroles déplacées. Le sang de cet ancêtre, artisan de l’évolution de cette cité, désintégrée pour un simple écart. S’il savait que c’est l’une de ses « erreurs » qui était à l’origine des évènements qui amenèrent la destruction de ces parents. S’il savait…


Fin du Flashback

Ce souvenir rappela au mage qu’il ne possédait pas l’esprit de justice. Il semblait être doué de concepts, mais il n’était pas assez extrémiste pour embrasser pleinement cette vertu. Il ne tolérait point la mort de ces hommes et de ces femmes qui vivaient dans cette nation, qui buvaient de l’eau de ses rivières, qui respiraient son oxygène. La mort n’avait jamais été la solution finale pour régler des conflits. Certes une méthode radicale, mais point une solution. Pour autant, il n’osait point, lui, pauvre magister issu d’un village, s’opposer aux rites et coutumes de sa nation, des rites qu’ils trouvaient désuets. Courage ne sera pas son salut…

L’ange se saisit d’une brindille, laissant le bout s’introduire entre ses lèvres. Le soldat aimait cette posture. Cette manie dénotait d’un héritage laissé par son ex-mentor, « Oncle William ». Il avait suivi ses pas, les pas de son modèle, de son sauveur en devenant le fer de lance de sa nation. Et dieu sait que Mearian en avait besoin.

Des envahisseurs d’un empire nordique, suppôts d’Héphaïstos, menaçaient les installations minières, situés sur ce continent maudit, dans les ruines d’un antique royaume. Une décennie que les deux armées se livraient à une course à l’armement magique. L’ange détestait ces inconnus, ces ombres responsables de nombreux assassinats dans l’armée magister, dont celui de feu William Rosales. Les mains crispés sur son parchemin, Alec fut pris d’une haine profonde envers ces hommes, qui suivaient les ordres d’un chef aussi fou que le légendaire Ephraïm le fou, auteur de l’anéantissement de l’antique royaume. « L’empereur méritait » de connaître milles tourmentes pour tenter de reproduire les erreurs du passé.

La réponse, le magister l’avait. Il n’avait pas choisi ce métier afin d’honorer une vertu divine, mais d’honorer la mémoire d’un de ses proches. Son cœur allait vers sa patrie, son choix allait vers sa patrie. Il n’était pas la pour quelque déité que ce soit, il était la pour apporter sa pierre à l’édifice dans le but de repousser l’envahisseur et de sécuriser son peuple. Pour autant, le « pilote ailé » aspirait à concrétiser des expériences hors de son pays. Véritable passionné de la chasse, il souhaitait accrocher de nouveaux palmarès à son tableau. La propagation de la foi ne serait-il pas mieux pour lui ?

Le magister avait grandi dans un orphelinat, éduqué par un magister et son binôme clerc. Il n’était pas contre l’idée de partager ces connaissances avec la nouvelle génération mondiale. L’éducation représentait une forme de « service » non seulement envers son peuple, mais aussi envers des habitants de ce bas monde qui n’attendaient que d’être « sauvés » par la grâce de la bonne parole.

La corruption s’insinuait lentement dans son esprit. Sa vision était obscurcie par des penchants personnels. Au final, le jeune magister n’avait pas choisi entre la patrie et la religion. Il prenait son propre partie. N’était-ce pas humain, salamandre ou encore lycan ? Chaque être nourrissait en son sein une ambition et des aspirations qui poussaient tout un chacun à dépasser ses propres limites. Le jeune homme poursuivrait sa voie, teinté sûrement d’une gloire éternelle.