ft. Viladra

ft. pnj

「Supercherie」
Certains voyages durent plus que d’autres et celui que j’avais commencé promettait d’être long. J’étais affiliée aux mages depuis plusieurs années, œuvrant dans l’ombre sans jamais dévoiler mon identité ou laisser transparaître notre existence. Je n’étais pas une membre à la fidélité absolue et je savais que mes convictions déviaient parfois des objectifs de la guilde, remettant en cause mon allégeance. Même si je n’étais pas au courant de toutes les actions qui en découlaient, j’avais été un temps déçue et écœurée de voir que rien n’avançait, préférant m’éloigner du repaire pour me concentrer sur mes propres projets sans me soucier de ce que pouvaient penser notre supérieur. Nous n’étions pas une nation et il n’existait aucune règle chez nous… Notre chef était le seul qui pouvait se permettre de nous demander quelque chose à défaut de nous l’ordonner, et bon nombre se pliait à la loi du plus fort. Lorsqu’il m’avait fait venir pour un entretien, je ne savais pas tellement à quoi m’attendre, savant pertinemment qu’il ne se risquerait pas à me faire des remontrances, connaissant assez mon tempérament pour deviner l’effet que pourraient avoir ces dernières. J’avais été assez surprise de la mission qu’il me confia, non seulement par son contenu, mais surtout par ce qu’elle pouvait m’apporter en plus des avantages qu’elle offrirait à la guilde.

Intégrer Nueva était un jeu d’enfant, mes capacités me permettant de me déplacer à ma guise et d’outrepasser les limites imposées par la plupart des barrages de sécurité. C’était une nation plus ou moins paisible, du moins en apparence, et aucune paranoïa ne flottait dans les airs contrairement à ses voisines qui ne cessaient de trouver des moyens pour se déchirer entre elles. Mettre un pied sur le territoire, ou même les deux d’ailleurs, ne m’avait jamais demandé aucun effort et je fus ravie de savoir que cette fois-ci, on m’offrait la possibilité non seulement de complexifier les choses, mais surtout d’avoir une place bien plus fragile et intéressante qu’une simple touriste.
Le conseil des sages était, à mes yeux, un ramassis d’individus bedonnants ayant pour la plupart tout appris sur les bancs de l’école sans découvrir le monde de leurs propres yeux. Souvent héritiers de riches familles aristocrates, ou bien élite de grandes écoles, leur savoir était important, mais leur expérience insignifiante. Je ne les respectais pas plus que d’autres et je ne comprenais pas l’engouement du peuple envers ces fragiles créatures, comme je ne comprenais pas ceux qui se leurraient par les paroles des séraphs ou des familles royales et impériales. Il fallait croire que la plupart des êtres se complaisaient dans le confort de suivre et non de décider, mettant leur vie et leurs croyances entre les mains sales de corrompus et de dictateurs…

Je débarquai sur les terres verdoyantes de Nueva dans la soirée, le froid de l’hiver assaillant ma peau et faisant déserter les rues de la capitale de la plupart de ses habitants. Cette saison était particulièrement rude et même dans les régions les plus tempérées, la neige, la glace et le blizzard s’installaient en toute facilité. Je n’aimais pas ce temps, mais je le préférais aux pics de chaleurs caniculaires…
Me rendant en premier dans le repaire principal de notre guilde, j’y déposai comme prévu la note confiée par Ekhart, regrettant de ne pas y croiser une âme qui aurait pu m’en apprendre plus sur nos contacts dans cette nation. Si nous avions pu trafiquer aussi aisément l’élection des prochains tribuns, il y avait fort à parier qu’un des membres de l’organisation soit très bien placé au sein de la politique… Et j’étais curieuse de connaître son identité.

J’avais longuement étudié les dossiers que m’avait donnés Ekhart, analysant mes cibles et cherchant un moyen de maquiller un meurtre en accident. Ma première proie était l’actuel tribun d’Alexander Wrath, un homme d’une quarantaine d’année dont le niveau de vie oscillait entre la petite bourgeoisie et la classe moyenne. C’était un mage médiocre, d’après ce que j’avais pu comprendre, mais dont la sagesse et la réflexion étaient aiguisées. Après tout, dans le rôle d’un conseiller, on n’en demandait pas plus…

Je l’avais suivi plusieurs jours, analysant son mode de vie avec précision, notant intérieurement le moindre détail qui pourrait jouer à mon avantage. Son rythme quotidien était plutôt monotone : il se levait tôt le matin pour aller pêcher dans les lacs entourant la capitale – sorte de hobby incompréhensible pour moi – puis rentrait chez lui afin de terminer de se préparer. Il mangeait souvent à l’extérieur en compagnie d’amis à lui, puis filait ensuite au tribunat même s’il n’y avait rien à faire. Parfois, il quittait son travail un peu plus tôt afin de vérifier que sa boutique de matériel de pêche roulait correctement sous les ordres de son employé, puis il filait dans sa maison et y passait la soirée avant de se coucher. Comme je vous l’ai dit, il n’y avait rien de très intéressant… Mais cet ennui pouvait me servir, et je me décidai au bout du quatrième jour à passer à l’action.

M’enveloppant dans une illusion d’invisibilité, je m’emparai de ses sens au moment où il sortit de sa demeure, un matin glacial où le soleil n’était pas encore levé. Sans qu’il ne me voie, je le suivis tranquillement, prenant soin d’étendre ma perception magique pour vérifier que personne ne traînait dans les parages. Quand il quitta la ville, il se dirigea comme à son habitude vers une zone de pêche encore déserte à cette heure-ci, et je lui emboitai le pas, observant cette silhouette chétive portant tout un attirail brinquebalant. Sa canne sur l’épaule, un seau accroché à la ceinture, sa besace se balançait lourdement contre son dos et il marchait d’un pas décidé, sifflotant un air connu et enjoué. Il ne tarda pas à tirer sa barque des fourrés avant de se percher dessus et, d’un coup de pagaie, de s’éloigner de la rive pour gagner les zones plus profondes et plus abondante d’un lac cerclé par la forêt. Ouvrant un portail à son niveau une fois qu’il se fut stabilisé, j’admirai sa dextérité à maintenir son embarcation presque immobile malgré le vent qui secouait cette coque de bois sans effort. Pour quelqu’un de non-aguerri, il n’aurait été que folie de venir ici avec un temps pareil…

Ah…. J’aurais peut-être du rester à l’intérieur…

Ses mots me donnant raison transpercèrent les rafales acérés du vent, et je le vis se recroqueviller sous son manteau. Il hésita longtemps, déroulant son fil, avant de lâcher de longs soupirs. La visibilité était mauvaise, le temps exécrable et lui-même se rendait compte qu’il n’aurait pas du venir. Je n’avais pas choisi cette journée au hasard, j’avais misé sur le fait qu’il ne dérogerait pas à ses habitudes malgré les aléas du temps, et je ne m’étais pas trompée. Quel dommage de mourir bêtement noyé à cause d’une erreur météorologique…
Manipulant son esprit, je fis alors jaillir dans celui-ci de longues lianes qui s’enroulèrent autour de sa gorge, le faisant suffoquer brutalement. J’immobilisai ses membres, l’empêchant de se griffer la peau pour y laisser des traces et le poussai à passer par-dessus bord. Victime de ses hallucinations, je le vis désespérément tenter d’utiliser la magie, faisant jaillir quelques flammes au hasard pour attaquer un ennemi qu’il ne voyait pas. Son visage blanchâtre s’enfonçait lentement sous la surface, sa bouche s’ouvrant sur le vide tandis que des cris muets s’en échappaient. Quand les dernières bulles remontèrent à la surface, il ne restait plus qu’une barque se ballottant sans aucun capitaine.

Les pêcheurs du lendemain mirent peu de temps à trouver son cadavre gorgé d’eau le lendemain. Echoué sur la rive, porté par les courants, il fut organisé une petite cérémonie mortuaire en son honneur et la cause de sa mort fut considérée comme accidentelle. J’entendis ses proches déplorer son obstination à vouloir se rendre sur les flots, qu’importe le temps. Sa femme s’enferma chez elle dès la fin de l’enterrement, ses enfants ne se présentèrent pas à l’école et une famille commença à se briser doucement tandis que je passais déjà à la deuxième partie de mon plan. Il n’y avait aucune place pour la pitié dans un monde aussi vil que celui-ci, je ne ressentais ni plaisir d’avoir tué un homme, ni aucune tristesse.

Armelia d’Egloen était la fille et unique héritière de la riche famille d’Egloen. Fille unique d’un fils et d’une autre fille unique, elle était la dernière de sa génération encore en vie et ne possédait aucun amant reconnu. Devant me débarrasser d’elle, la difficulté ne résidait pas à la tuer, mais à prendre sa place. Je m’étais à nouveau infiltrée dans sa vie, m’effaçant à sa vision et observant cette femme qui me ressemblait étrangement. On aurait pu nous prendre pour des sœurs jumelles sans aucun problème si mes expressions n’étaient pas aussi froides comparées aux siennes, bien plus mélancoliques et douces que celles que j’arborais. Artiste, elle peignait des paysages magnifiques et vivait de ses œuvres ainsi que de l’argent dont elle avait hérité. En me renseignant dans son entourage, toujours sous couvert d’une illusion me donnant une apparence différente à chaque fois, j’avais réussi à savoir qu’elle ne sortait plus de chez elle depuis la mort de son père, dernier parent qu’il lui restait, à savoir depuis deux bons mois. Ayant arrêté de peindre, elle avait renvoyé le personnel de sa demeure, s’enfermant dans la solitude et la dépression et bon nombre pensaient parfois qu’elle s’était même peut-être déjà suicidée sans que personne ne le sache.

J’avais pris mon temps pour connaître son tempérament, lançant parfois le sujet innocemment et recueillant les réactions que cela déclenchait. Elle était plutôt réservée, ne parlait pas beaucoup et ne possédait pas réellement d’ami. La seule avec qui elle gardait contact vivait à Mearian et leur relation actuelle était uniquement épistolaire, m’enlevant la lourde tâche de devoir me retrouver confrontée à elle. Certains hommes avaient parfois cherché à l’approcher sans succès, dans l’espoir d’intégrer la riche fortune qu’elle possédait mais elle les avait tous éconduit sans jamais en choisir un. Sa relation avec son père était autrefois très fusionnelle et sa perte avait été un drame. Quand je m’étais introduite dans sa demeure, une fine couche de poussière s’était déposée sur le sol et les meubles tandis qu’une vaisselle sale semblait traîner depuis longtemps dans les éviers. Lorsque je tombai sur elle, je fus légèrement surprise de voir une forme rachitique qui ne semblait plus s’alimenter correctement, roulée en boule sur un grand lit défait, serrant dans ses bras divers objets qui devaient appartenir à son paternel. J’aurais peut-être du éprouver de la peine ou de la pitié, mais je ne voyais là qu’une âme brisée dont la mort ne pouvait qu’apporter le réconfort.

Apparaissant auprès d’elle, son regard se posa sur moi, la tristesse et la lassitude ne laissant que peu de place à la surprise. Elle ne me parla pas de suite, fixant mon visage si ressemblant au sien, et détaillant ma silhouette plus étoffée que la maigreur que dégageait la sienne. Se redressant enfin, elle s’assit mollement sur le bord de sa couche et ouvrit alors la bouche pour m’interpeler d’une voix éraillée. Ses yeux étaient encore rouges, elle avait pleuré récemment et son deuil semblait être en très mauvaise voie d’accomplissement…

Qui êtes-vous ?

Cette femme était totalement perdue. Beaucoup m’aurait crié dessus, ou m’aurez demandé de partir… Certains auraient eu le réflexe de m’attaquer, ou bien d’appeler à l’aide, mais mon intrusion ne semblait pas la surprendre plus que cela. Elle était là sans vraiment être là, son esprit flottant entre la réalité et le cauchemar. Je tenais déjà au creux des tissus de mes vêtements la dague qui ôterait sa vie, mais je retins mon geste, préférant au moins lui accorder le droit d’avoir une dernière conversation avec son meurtrier.

Ce que je suis n’a aucune importance, mais ce que je vais devenir l’est bien plus… Répondis-je doucement. Tu ne vis plus, Armelia, tu survis, et pour te libérer de cette existence cruelle, je viens prendre ta place et t’offrir la possibilité de rejoindre ton père.

Certes, c’était un peu pompeux, mais je n’avais pas vraiment envie de partir dans les détails, elle n’avait pas besoin d’en savoir plus. Elle marqua une certaine surprise, puis je vis un éclat de peur traverser son regard avant que l’espoir n’y prenne place. Comme une enfant hagard, elle n’avait retenu que la dernière phrase et je la vis soudainement se jeter en avant, agrippant le bas de ma robe avant de coller son visage à mon ventre dans une étreinte dérangeante.

Merci, merci !

Elle pleurait. Je sentais ses larmes traverser mes vêtements et se glisser le long de ma peau. J’entendais sa respiration saccadée, je ressentais les tremblements de son corps fragile contre le mien tandis qu’elle bafouillait encore des paroles de gratitude incompréhensible. Si les choses pouvaient se passer aussi facilement…
Me penchant doucement vers elle, je relevai alors son menton doucement tandis qu’elle fermait les yeux, comme prête à recevoir un baiser aussi létal qu’apaisant. Ma lame traça une fine ligne écarlate le long de sa gorge et je posai ma main sur sa bouche, étouffant son cri et laissant son râle d’agonie s’échapper discrètement dans un gargouillement. Ses ongles me griffèrent les poignets avant qu’elle n’expire son dernier souffle et je ne sus jamais si elle fut contente ou surprise de mon présent. Transportant son corps dans ma dimension, je le jetai alors en plein océan d’Ellgard où les carnassiers marins se délecteraient de sa chair.

Je passai du temps dans sa demeure, fouillant chaque recoin et apprenant le moindre de ses éléments. J’appris son arbre généalogique sur le bout des doigts, lus ses correspondances pour m’approprier ses souvenirs et pris du temps pour calquer mon langage sur le sien. La missive m’annonçant mon élection en tant que tribun mit quelques temps à me parvenir mais cela me laissa la possibilité de peaufiner mon nouveau rôle.
Je me mis dans la peau du personnage, revêtant ses vêtements et me recouvrant la plupart du temps d’une cape brodée dont le capuchon décoré au fil d’or me permettait de m’abriter des regards trop incisifs. Lorsque je me rendis au tribunat, certains m’adressèrent des condoléances auxquelles je répondis discrètement, alliant l’esquive et la gêne dont la jeune femme décédée avait l’habitude d’user. Grâce à son tempérament discret, son cercle social inexistant et le récent décès qu’elle avait subi, je pouvais me permettre de me rendre au conseil qu’en de rares occasions sans éveiller des soupçons.

Lorsque je fus pleinement satisfaite de mon œuvre, je me décidai enfin à déposer un compte-rendu de mes actions dans le petit salon privé où avait eu lieu l’entrevue avec Ekhart. Sans signer, je ne laissai rien de marqué qui pourrait trahir mon identité, préférant prendre mes précautions au cas où la missive tombe entre de mauvaises mains. Je restai laconique, ne parlant pas ouvertement de meurtre, ni de Nueva, me contentant d’annoncer que les deux objectifs avaient été remplis et que je commençais dès maintenant à m’atteler à ma nouvelle existence.

Je n’avais pas encore pris le temps de me mêler au conseil des sages et à leurs subordonnés, me contentant de jeter un œil aux recensements afin de connaître au moins les noms et les éléments publics qu’il y avait sur eux. Mon arrivée n’avait provoqué que peu de remous, les tribuns étant sélectionnés parmi des gens ordinaires ce qui n’en faisait donc pas de figures très importantes aux yeux du peuple. Nous étions, en réalité, les sortes de petites voix qui murmuraient aux oreilles de nos sages respectifs, leur servant d’oreilles, de yeux et de réflexion. Maintenant, il ne me restait plus qu’à glaner des informations qui pourraient être intéressantes, comme lorsque j’eus accès au résumé de la précédente réunion… A savoir que Nueva était formellement opposé à l’alliance entre Akantha et Ellgard et que cela pouvait toujours être bon à savoir si jamais une guerre ouverte se déclarait. Tout cela ne faisait que commencer pour moi, et j’avais déjà hâte de savoir ce qui allait en découdre de toute cette étrange machination…