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Lost Kingdom  :: Mearian :: La Capitale - Theopolis, cité des dieux

Rencontre entre le sacré et le profane [PV Viladra]

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Tout ceci s'est passé il y a quelques mois, mais c'est encore parfaitement clair dans l'esprit du vieux pontife. Il n'en a pour l'instant encore parler à personne.

C'était l'un des jours très calme que connaissait Mearian, oui, c'est assez étonnant et peu être surprenant pour certain, mais toute nation en guerre peut connaître de jours heureux et calme, car nous sommes très loin d'une guerre mobilisation sa population et sa force de travail envers cette tâche unique guerrière. Ainsi, puisque le pape était bien loin de la nation de son enfance et de l'arbre auquel il était lié, il aimait aller dans de petit recueillement, seul et sans ses gardes, en dehors de la ville. Chercher un amas d'arbre, ou une petite forêt, et s'y arrêter pour réfléchir, méditer, penser, se détendre. Il ne consommait plus la chair et ne voulait pas le faire, ses deux femmes avaient par le passé comblé son cœur et c'était maintenant sa Foi qui gardait ce vide encore chaud et ne le rendait pas de pierre, ça, et ses filles.

Souvent, il s'asseyait au pied d'un arbre en croisant les jambes et il fermait les yeux, il faisait le vide autour de lui et rien de plus, il pouvait rester ainsi pendant plusieurs heures sans jamais bouger. Animaux comme temps ne le faisait se mouvoir, il n'avait pas peur d'un peu de pluie sur le visage. Mais à la fois, ce coin tranquille était bien souvent un terreau parfait pour les rencontres qui ne demandaient qu'à naitre, que ce soit le paysan travaillant avec ardeur sa terre et aillant besoin de ressentir l'amour profond et sincère des Dieux dans son cœur jusqu'au prêtre et son magister travaillant à évangéliser ou répondre aux questions des habitants de la belle nation très croyante de Mearian.

Aujourd'hui, il ne se doutait pas de ce qu'il allait lui arriver, il s'était assit sous un magnifique cerisier qui ne demandait qu'à devenir rose dans quelques temps, tout autour de lui, il avait des plantes vertes et quelques pissenlits qui donnaient un contraste de jaune au milieu de cette verdure, le seul son qui dominait était sûrement celui des insectes près de la terre et celui des oiseaux, maîtres du ciel. Parfois, Jorgën s'amusait à se dire qu'il pourrait avoir la patience d'attendre pour que certains de ses ailés viennent sur ses épaules, mais ce serait très puéril de sa part. Non, il préférait se priver de sa vue pour mieux imaginer un monde autour de lui, dans ces petits et rares instants de solitude, il voyait tout un tas de chose qui lui donnait presque envie de pleurer, qui réchauffait le cœur qu'il avait apprit à entourer d'un contour de pierre pour mieux le protéger de la violence de la vie, il revoyait ses filles, il voyait Rüen et peut être rêvait-il de sa guérison comme un enfant rêve de choses irréalistes. Peut être que ce mal inconnu allait être source de bien des maux dans un futur plus ou moins proche, mais seul l'avenir nous le dira, n'est ce pas ? Enfin... Un bruit auquel il était loin d'être habitué le réveilla de son pèlerinage dans un sursaut mental, il ouvrit brusquement les yeux. Il n'avait pas peur, son regard était comme toujours sérieux et neutre, sans aucune émotion, il venait de perdre par la même occasion son sourire. Il n'y avait rien à craindre, la flore l'entourait et son fidèle bâton était à ses pieds.

ft. Viladra

ft. Jorgën Vorticera

「Hérétique bénédiction」
Il m’arrive régulièrement, dans ma fade existence, de constater à quel point le destin sait se montrer joueur et retors… Parfois en causant des évènements aussi imprévus qu’originaux sur ma route, de temps en temps en me mêlant à situations pourtant à l’opposé de mes objectifs, mais souvent en plaçant sur mon chemin des individus dont la nature ou le rang contraste fortement avec ce que je suis. Que cela soit un inquisiteur de l’empire le matin, puis le chef de la rébellion l’après-midi, j’avais fini par m’habituer à ces caprices de la vie, les accueillant désormais avec une nonchalance teintée de curiosité…

Le souvenir que je vais évoquer remonte à plusieurs mois, mais pour une fois ce fut une expérience marquante et pas spécialement désagréable à défaut de l’être réellement.
Peut-être est-ce par mon côté provocateur ou bien par réel ennui que je pris cette décision, mais il me vint à l’esprit l’envie de me rendre à Mearian. A vrai dire, même si on m’avait ôté mon rôle divin il y avait quelques décennies, seuls les pseudo-dieux pouvaient me reconnaître et je ne risquais pas grand-chose à me balader sur leur territoire… Et sans doute qu’au fond de moi, je cherchais un prétexte pour me confronter à l’un d’eux. Néanmoins, je ne croisai aucun ennemi notable et je me contentai donc d’arpenter les chemins de la capitale, comptant sur mes sens pour me prévenir de l’approche d’un de mes confrères. Rien. Je quittai donc cet endroit et gagnai les contrées plus naturelles où les hauts murs et les effigies des seraph ne salissaient pas le paysage.

J’avais marché hors de la ville sans vraiment savoir où je me rendais, délaissant ma capacité de déplacement instantanée pour savourer une balade certes plus longue, mais plus apaisante. Je sentais depuis quelques temps la corruption ralentir dans mon âme, et il n’était pas difficile de faire le lien avec les nombreuses séances de solitude et de médiation que je m’infligeais régulièrement.
Quand Théopolis ne fut plus qu’un bloc de pierres à l’horizon, je m’arrêtai alors, profitant de cette sérénité avant d’étendre peu à peu ma magie autour de moi. Tressaillant légèrement en ressentant une présence qui ne m’était pas inconnue, je ne pus mettre de nom sur cette source d’énergie, et je m’y dirigeai donc sans hésitation, curieuse de savoir quelle connaissance s’était éloignée aussi loin de la civilisation. Quand je reconnus son visage aux traits marqués par l’âge ainsi que son bâton reconnaissable entre tous, un fin sourire étira mes lèvres lorsque son regard se posa sur moi à mon approche.

Le pape avait conscience de l’existence des séraph, mais il n’avait jamais eu l’honneur de les rencontrer ni même de les approcher. Seule la grande prêtresse pouvait se vanter de les côtoyer, mais ce n’était qu’une façade pour assujettir un peu plus le peuple à ces croyances ridicules. Il ne savait donc pas qui j’étais, et n’avait pas la moindre idée du potentiel danger qu’il y avait à se retrouver en présence de l’un des soi-disant plus grands traitres de la nation. Foutaises… Si seulement la population pouvait se rendre compte du mensonge dans lequel ils baignaient… Mais les troupeaux se rassuraient souvent dans l’ombre d’un grand loup, aussi fictif soit-il. Ce n’était pas mon rôle de rétablir la vérité face à la foule… Mais puisque je détenais l’un des représentants principaux de notre très chère religion….

Bonjour, mon père. Le saluai-je d’une voix douce tandis que je m’avançais jusqu’à ce que je sois devant lui. Il est bien rare de vous voir loin du temple, la foi devient-elle trop pesante entre les murs de la capitale des dieux… ?

Et sans attendre de réponse, je posai alors une main au sol, y prenant appui avant de m’asseoir en tailleur face à lui. Je ne montrais aucune hostilité et si j’avais hésité à prendre ma forme naturelle pour le rencontrer, je gardai finalement une apparence humaine. Rares étaient ceux qui la connaissaient et je ne comptais pas la dévoiler à n’importe qui. En revanche, aussi ironique que cela puisse paraître, j’étais face au pape, l’un de ceux qui, jadis, me représentait avec une loyauté sans faille.

Je vois que les choses ne changent pas, ici. Repris-je, un sourire toujours sur mes lèvres. Comment se portent nos chères divinités ? Mavis continue-t-elle de retranscrire assidument les paroles sacrées ? Ah… Quel temps lointain…

Si l’hérésie se faisait clairement sentir dans le ton ironique de ma voix, je n’étais pas assez mal-élevée pour le clamer haut et fort. En revanche, me demander de jouer le rôle d’une fidèle croyante était au-dessus de mes forces… Et puis, malgré tout le temps passé à Mearian, je n’avais jamais vraiment eu l’occasion de parler directement au pape. Bien souvent, j’avais œuvré aux côtés de mes confrères pour garder notre mainmise sur le peuple, et ce même lorsque l’on sentait que notre pontife tendait à prendre trop de place, mais je n’avais pas cherché à aller plus loin dans cette relation strictement professionnelle. Maintenant que plus rien ne me retenait à ces inepties, j’étais délicieusement libre de côtoyer la foi dans mon infidélité la plus totale…

Elle le connaissait, qui était-elle ? Jorgën n’oubliait jamais un visage, et encore moins une voix. Le fait qu'elle le connaissait et reconnaissait même de dos était assez incroyable, ou pas en fait, cela aurait pu bien être la fille d'un paysans qui le connaissait et qui était tout près, mais cette proximité dans la voix et dans la phrase n'avait rien du solennel avec lequel on le saluait d'habitude. Il était intrigué, et même s'il avait perdu son sourire, l'un de ses sourcils se releva doucement. Il ne répondit rien, car le ton disait clairement que cela n'allait pas être tout, une autre phrase allait être dite. Et cela ne manquait pas, son interlocutrice devint provocante, sous entendant que la foi était quelque chose de pesant, comme si la foi pouvait être comparée au stress ou à une maladie, un poids, mais ce n'était rien de tout ça, et elle le savait. La foi était libératrice, un lien qui unissait tout un peuple face aux tyrans et aux impérialistes, pas quelque chose qui divisait et faisait souffrir, le fait qu'elle soit autant d'un mauvais esprit fit baisser le sourcil pontifical et le rendit dubitatif quand à son identité.

Il se contenta de la scruter de son regard froid de quasi inquisiteur, celui posant des questions à l'âme de celle qui avait osé lui parler, qu'est ce que ses yeux cachaient ? Elle s'essaya, une chose était claire, elle ne voulait pas se battre, c'est pour ça que le pape prit son bâton et, au lieu de le laisser poser face à lui, le mit sur le coté, pour montrer qu'il était ouvert d'un simple geste à la conversation, c'était assez subtile et visible pour être compris. Lorsqu'il écouta ce qu'elle avait à dire, il ne sentit que haine et mépris, avec une certaine envie de le faire réagir, que voulait-elle tirer de lui ? Il ne le savait pas, et une certaine fascination qu'il ne montrait absolument pas existait dans son esprit, il voulait savoir qui elle était.

Je sens beaucoup de tristesse en vous. Lâcha t-il comme seule réponse, un cailloux jeté à la mer, sans aucune agressivité ou mépris, c'était une constatation aussi froide que brute, il lui était évident que toute agressivité qui existait dans ce monde était dû à une tristesse et une incompréhension, la tristesse de l'injustice, de vivre sous un tyran ou la haine de son prochain lorsqu'on vit sous Ellgard car on y a été endoctriné dès le plus jeune âge. Après quelques secondes où il ferma les yeux, il les rouvrit et enchaîna. Qui êtes vous ? Même assis, l'homme du presque deux mètres dominait largement physiquement, mais ce manque de connaissance le mettait immédiatement dans une position de dominée au sein de la discussion, il n'aimait pas cela. Il ne regardait qu'elle et n'esquivait en rien son regard, toujours aussi froid et intouchable.

ft. Viladra

ft. Jorgën Vorticera

「Hérétique bénédiction」
Comme je m’y attendais de la part d’une personne d’un si haut rang, il ne releva pas mes piques provocatrices et se contenta de me jauger en silence avant d’ôter son bâton, dernier rempart pouvant freiner notre conversation. Toujours souriante, j’observais ce visage marqué par le temps et les épreuves. S’il ne savait rien de moi, ni des autres séraph, sa tragique histoire n’était pas un secret et je me doutais qu’il faisait partie de ceux qui se raccrochaient à la foi comme une bouée de sauvetage au milieu de la cruauté de ce monde. Etait-ce vraiment rendre service que de dévoiler la vérité, à savoir qu’il n’existait aucun dieu et que leur vie avait été basée sur des mensonges et des pâles copies des véritables divinités ? Certains sombreraient dans le désespoir et le fragile équilibre religieux qui maintenait cette nation s’écroulerait comme un château de cartes face à la tempête. J’en avais presque de la peine… Je pouvais peut-être même éprouver une once de regret à me dire que quelques mots de ma part permettraient d’ouvrir la fameuse boîte de Pandore. La vérité était un fardeau difficile à porter, et il était souvent bien plus aisé de se complaire dans le déni afin d’atteindre un bonheur plus simple bien que fictif.

Lorsque celui qui fut jadis mon plus proche allié se décida à me répondre, je reçus sa question sans offense, me contentant de garder un sourire énigmatique malgré la situation pour la moins incongrue. Triste ? Oui, je l’avais été… J’avais connu même pire que cela, goutant au regret, la haine, la colère et le désarroi. Je m’étais sentie abandonnée, trahie par les miens, rejetée par tout ce pour quoi je m’étais battue… Mais aujourd’hui, qu’en était-il ? Non, je n’étais plus triste… Peut-être désabusée par une vie maintenant bien assez longue, une immortalité pesante et une existence bien morne. La corruption n’était pas une simple phase poussant à une folie simpliste et limitée. Elle effaçait peu à peu les dernières traces d’humanité, gommant l’empathie et développant l’intransigeance. J’avais commencé à descendre dans ce gouffre sans fond et sans retour en arrière… Je m’étais pourtant renseignée, j’avais cherché un remède dans les endroits les plus sombres et les plus obscures de cette planète, mais il en n’existait aucun : nous étions condamnés, aussi divins pensions-nous l’être.

Et pourtant, finis-je par répondre, je ne le suis plus, désormais. C’est une émotion bien trop forte et bien trop pure pour que je me la permette, mais ce n’est pas un regret…

En revanche, lui l’était. Je ne savais pas si j’avais face à moi une figure de force écrasante et de sagesse exemplaire, ou si tout cela n’était qu’une façade accrochée à ses croyances pour pouvoir se permettre de rester debout. Les plus puissants n’étaient pas les plus forts, et parfois il suffisait d’un simple grain de sable dans leurs rouages bien huilés pour que toute leur structure s’effondre en poussière.
Il me demanda enfin qui j’étais, et je me demandai comment il réagirait si je lui disais immédiatement et sans détour ma véritable identité. Peut-être ne me croirait-il tout simplement pas, et il me faudrait alors sortir ma forme naturelle avant de communiquer des informations propres aux séraph…. Mais avais-je envie d’aller jusque là ? Il était plus amusant, et moins direct, de se risquer sur une semi-vérité, optant pour un entre-deux savamment dosé afin qu’il ne se sente ni agressé… Ni caressé dans le sens du poil.

Qui je suis n’a plus d’importance depuis l’an 353. Repris-je, toujours dans un sourire. Donner une part de vérité à un esprit bercé d’illusion peut provoquer un déni et une agressivité dont je préfère me passer….

Je savais que je prenais une pente ardue et il y avait maintenant des chances qu’il m’accuse d’hérésie. De la part du pape, c’était une sentence… Mais accuser un ancien dieu était-il vraiment acceptable… ? Evoquer la date de la rébellion des séraph était un simple moyen pour moi de savoir si on lui avait lavé le cerveau non… La magie était surprenante, et je savais que mes anciens confrères n’auraient pas hésité à en user et en abuser pour effacer toutes traces de notre existence. Les écrits avaient été modifiés, nos temples détruits et certains de nos fidèles discrètement massacrés. J’avais eu vent d’horreurs commises au nom de la foi et notre départ ne leur donna qu’une excuse de plus pour provoquer massacre et déchainement de pouvoirs au nom du divin. Le pape était-il au courant de tout cela ? Avait-il couvert ces actes barbares, ou était-ce encore une fois une simple marionnette aux mains des séraph pseudo-purs ?

Je me rappelle bien de vous, en revanche. Poursuivis-je après quelques secondes de silence. Vous avez toujours défendu l’Ordre des Astres avec ferveur. Vos actes sont admirables et vous voir vous battre pour de nobles principes est honorable… Mais je ne peux m’empêcher de déplorer vos efforts lorsque je sais qu’ils sont dictés par une cause qui n’est pas aussi lumineuse et pure que vous le pensez…

Les mots avaient été lâchés et je savais que certains fidèles se seraient énervés pour moins que ça. Houla, j’avais osé entacher l’image de la religion avec des paroles dénigrant sa véracité et son intégrité… Je connaissais les lois de cette nation pour les avoir rédigées il y avait longtemps, elles étaient claires : tout acte hérétique menait à la mort. Ferait-il l’erreur de vouloir appliquer ces sinistres consignes, ou resterait-il ouvert à un débat aussi délicat que libérateur… ?


L'an 353... Remettre cette date sur le tapis fit lâcher une moue discrète au dirigeant, son bouclier incassable venait d'être détruit d'un tout petit coup, un mot simple, l’évocation de cette date lui rappelait immédiatement les naissances des ses deux premières filles chéries, mais aussi la mort de celle qui l'avait fait rentrer dans son premier deuil, de vieillesse, elle était partie lentement, mais avec douleur. Il encaissait cette phrase en se demandant bien de quoi parlait son interlocutrice, peut être était-elle une connaissance de son ancienne femme, et qu'elle parlait de cette mort tragique comme une perte du possible lien entre eux deux à partir de ce moment. Mais la suite était plus intéressante, cela montrait clairement que le domaine privé n'était pas le sujet principal de sa discussion et que nous étions sur le foi. Jorgën reprit son air sérieux en voyant qu'on ne parlait en rien du tragique sort de sa femme et de sa famille, mais bel et bien de sa foi et peut être même de celle de toute la nation qu'est Mearian.

Ce qu'elle dit fit sens dans l'esprit du pape, donner la vérité à un impérialiste Ellgardien le mettrait évidemment dans une rage sans fin, puisqu'ils étaient des fanatisés de leur tyran et on les avait aliénés à y croire. Elle parlait comme une hérétique, mais avec la finesse d'une hérétique penseuse, au fond, pour le Dryade qui avait étudié de la philosophie durant toute sa jeunesse, une telle affirmation ne le fit pas se remettre en cause ou ne lui donna en rien envie de l'attaquer ou de la faire brûler, cela avait déclenché une phase de questionnement dans son esprit, sur son identité.

Était ce une hérétique qui croyait dur comme fer aux anciens Seraphs ? Comment le connaîtrait-elle dans ce cas ? Le regard du vieil homme s'éveilla presque d'un sourire cynique, cynique sur sa propre personne, lorsqu'il commença à esquisser cette identité qu'il devrait détester en face de lui. Et à la fois, haha... Cela réveillait une nouvelle blessure personnelle dans son égo, celle où les Seraphs avaient usés de leur magie pour laver le cerveau de la population, même le sien, et effacer leur nombre initial de 30. Cela le mettait un peu en colère d'y repenser. Au fond, dans ces moments, la divinité et la perfection des Seraphs même pouvait être remise en question. Cela le convainquait d'avantage dans son idée, les Seraphs devaient être des idoles, pas des chefs, ils avaient abusés de la confiance de la population à leur égard. Pourquoi donc les Seraphs méprisaient-ils le peuple au point de les trouver assez stupides pour cesser de croire en eux car certains avaient été corrompus ? Jorgën souffla du nez lors de la seconde phrase de celle qui semblait être la personne qu'il devait le plus haïr au monde, et inversement. Et pourtant, aucune haine ne sortait de lui, il avait apprit à ne haïr avec sincérité qu'une personne dans ce monde. Il eut un petit sourire amusé, c'était osé de venir sous son nez, comptait-elle le tuer ? Peut être. Cela l'amusait réellement, il était curieux, surtout si elle comptait seulement parler.

Je sais qui vous êtes, mais votre nom aiderait à la conversation, au moins. Puisque cela semble être réciproque. Il laissa le silence planer quelques secondes avant de répondre. Ne pensez pas que je laisse les seraphs me diriger du bout du nez, c'est moi qui prend les décisions, je suis mieux placé qu'eux pour connaître et aider mon peuple, et le peuple sait qui aimer. Il sous entendit par là sa popularité parmi les siens qui étaient grandissantes tandis que les Seraphs avaient besoin de la grande prêtresse pour communiquer avec eux. Ils sont trop parfaits pour comprendre les problématiques humaines et les contraintes.

ft. Viladra

ft. Jorgën Vorticera

「Hérétique bénédiction」
Une moue à peine perceptible étira brièvement son visage à l’évocation de ma dernière phrase et je restai impassible malgré la pointe d’amusement qui montait en moi. Avait-il saisit de quoi je parlais ? Ou avais-je évoqué quelques souvenirs douloureux dont il se serait bien passé…. En était-il qu’il s’abstint de tout commentaire à ce sujet et qu’il reprit rapidement contenance, montrant là qu’il était plus solide qu’il ne le paraissait. Ah, l’âge était un facteur de sagesse et d’endurance à défaut de faire croître la fragilité chez les races les plus faibles…

Lorsqu’il prit la parole, ce fut pour confirmer qu’il avait bien deviné une partie de mon identité. Etonnant, il ne sembla pas mal le prendre contrairement à ce que j’aurais pu penser, mais il ne montra évidemment aucune joie à croiser ma route. Cela pouvait être compréhensif… Un seraph corrompu ne pouvait avoir qu’une envie face au pape : celui de le détruire… Mais je n’étais pas un nouveau-né, je foulais ces terres puis plus de quatre siècles et l’impulsivité m’avait quitté depuis bien longtemps pour laisser place à la réflexion. Oh, je ne cachais pas qu’il m’arrivait encore parfois de succomber à quelques écarts de folie, mais j’étais vigilante à ce que cela ne se produise pas régulièrement, cela me faisait perdre la tête et toute crédibilité. Le conte des vilains anges déchus était déjà bien assez stéréotypé pour que je donne le luxe à nos détracteurs de s’appuyer sur mes actes, le bien et le mal étaient des concepts bien trop simplistes pour que l’on s’y fie.

Je fus assez surprise de voir à quel pont il avait confiance en sa réputation. Evidemment, le peuple l’adorait, et lui vouait d’ailleurs une certaine crainte similaire aux dieux contraire à la prêtresse qui n’attirait qu’amour et compassion… Mais contrairement aux divinités, son post était remplaçable et  sa sécurité s’en retrouverait fortement fragilisée s’il s’opposait ouvertement à ses idoles. Néanmoins, ce n’était pas un abruti, du moins il n’en avait pas l’air, et je ne doutais pas qu’il manie ses paroles et ses actions avec finesse. En revanche, comment voulez-vous effectuer un travail de façon exemplaire lorsque l’on vous donne des consignes erronées et dictées par des supérieurs incompétents et mensongers…

Soupirant légèrement, je ramassai alors une brindille du bout des doigts, la faisant distraitement tournoyer tandis que je réfléchissais de quelle façon j’allais bien pouvoir répondre. Je ne voulais pas paraître pour quelqu’un voulant détruire toutes ses croyances, cela était désormais un objectif que je jugeais aussi futile qu’inutile. En revanche, si j’avais profité de la rébellion de certains de mes frères pour m’éloigner de l’Ordre, c’était bien parce que je ne supportais plus l’hypocrisie et les mensonges sur lesquels était bâti Mearian. Peut-être que cela venait d’un reste de bonté, d’une dernière miette d’humanité qui m’habitait jadis, mais je trouvais cela fort dommage de voir à quel point certains se complaisaient encore dans cette existence débectante.

Mon nom ne te dira rien, vos dieux eux-mêmes se gardent bien de vous faire part de leur véritable identité… Répondis-je, mordante. Mais jadis, on me nommait par la vertu du désir et effectivement, je suis de la même race de ceux que tu adores sans rien connaître de leur nature.

Le tutoiement était sorti naturellement. Du temps où je trônais encore parmi les miens, il était inconcevable que l’on s’adresse à quelqu’un avec égalité étant donné nos statuts divins et cette habitude était restée bien que les raisons d’antan se soient juste transformées mode de vie. Cela pouvait paraître décalé de voir une jeune femme s’adresser ainsi à un aîné, mais la vérité était que rares étaient les êtres qui avaient vécu autant que moi et le respect des anciens était une notion qui m’était donc devenue étrangère.

Lâchant un petit rire, je me redressai alors pour prendre appui sur mes bras tendus dans mon dos. La sensation agréable de l’herbe contre mes mains me permettant de rester connectée à la réalité, je posai à nouveau mon regard gris sur cet homme qui, si les choses s’étaient passées autrement, aurait été mon lien officiel avec les fidèles.

Maintenant que tu as face à toi un semblable de ceux qui se terrent derrière les murs de leur temple, es-tu toujours aussi impressionné par ces dieux ? Penses-tu réellement qu’une énergie supérieure coule dans nos veines ? Es-tu… impressionnée ?

Si les habitants de Mearian voyaient réellement qui nous étions, beaucoup perdraient la foi, c’était certains… Nous n’étions que des anges supérieurs, une espèce privilégiée dans leurs pouvoirs, tout simplement. J’avais rencontré des adversaires qui mettraient à mal beaucoup de séraph sans avoir à se vanter d’être dieux… Et pourtant des millions de personnes les adulaient sans savoir que les vingt et un n’étaient que des usurpateurs. Au final, peut-être était-elle là leur véritable puissance : cette capacité incroyable de mentir et de persuasion, celle d’assujettir les âmes et les corps en quelques claquements de doigts…

Le peuple vénèrent ceux qui étaient les miens, une apparition de leur part et tu perdras tout pouvoir. Peut-être serait-il plus judicieux pour toi de mieux les connaître afin de te parer à toute éventualité.

Expédiant d’une pichenette la brindille que je tenais entre mes doigts, je ris à nouveau.

Enfin, un conseil de la part de l’un des pires hérétiques possibles, cela ne vaut pas grand-chose. Mais je n’ai pas pu m’en empêcher, navrée.



Elle était donc belle et bien une ancienne Seraphs et faisait partit de la crise des 9 lors de 353. Jorgën était plus intrigué qu'effrayé ou en colère, en fait, cette fourberie Seraphienne lui donnait envie de désobéir aux Dieux même pour accomplir quelque chose que même sa foi ne pouvait remplir ni l'empêcher de faire : comprendre. Il était à présent tiraillé par des questions intérieurs, la corruption n'avait pas l'air de toucher cette Seraph. Même s'il se doutait qu'elle allait essayer d'utiliser ses belles paroles pour le corrompre, il était prêt à l'écouter et à voir ce qu'elle avait à dire malgré tout. Elle mettait en évidence la méconnaissance du pontife vis à vis de ses dieux, tout était vrai, mais à la fois, avait on besoin de savoir pour faire confiance et aimer ? Devait on connaître entièrement une personne pour lui faire confiance ? Ou quelques signes évidents pouvaient nous mettre sur la voie et nous permettre à le faire, Jorgën pensait ainsi. Il  ne savait pas tout, car certaines choses n'étaient pas à sa portée de vivant. Mais au fond, elle n'avait pas l'air si folle, se disait-il. Pourquoi donc être partis ? Des désaccords avec les autres Seraphs ?

Elle bougea mais lui resta aussi solide qu'une statue, il ne perdait pas sa stature de dominant physiquement. Sa phrase ne manqua pas de le surprendre. Mais il attendit qu'elle enchaine tout ce qu'elle avait à dire en préparant ses réponses. S'amusant d'une brindille avec un air des plus cyniques, elle ria, riait-elle de lui ? D'elle même, des seraphs ? Au fond, peut être qu'elle était vraiment folle, mais une folie rationnelle, celle à laquelle on est menée quand le pouvoir nous prend trop et qu'on veut en abuser pour exécuter tout nos desirs, ou bien celle de la dépression, la logique implacable fataliste qui ne trouve aucun contre argument possible. Jorgën soupira de façon amusée quand elle le prévint sur son possible sort en cas de désaccord avec les Seraphs. Il déplaça lentement l'une de ses mains vieillit par l'âge pour caresser sa barbe.

Pourquoi donc t'avoir en face de moi me ferait perdre une once d'amour et de confiance envers mes Dieux, sachant que même si l'on t'appelle corrompue et folle, tu essaies encore et toujours de sauver les gens, comme si ta divinité n'avait pu être complètement effacée. Enfin, tu crois les sauver, mais nos avis doivent diverger, évidemment. Il sourit, non pas avec provocation mais avec un attendrissement certain, même les Seraphs étaient enchaînés au bien dans leur esprit, leur perfection était aussi réelle que le vivant à ce niveau précis. Ensuite, je sais à quel point je siège sur une chaise soutenue par leurs bras voulant bien la tenir. Mais même si la grande prêtresse est quelqu'un d'adulée par le peuple, l'interdépendance entre le rôle de pape et eux est réelle, si ce n'est pas moi, un autre choisit par l'élite militaire et politique sera choisit pour faire prospérer Mearian. Au fond, que ce soit en suivant les décisions des 21 que tu hais ou pas, ce qui importe est que le peuple se porte bien et qu'il soit heureux, j'ai agis autant que j'ai pu pour que ce soit le cas, et mes successeurs auront les bases pour continuer vers cette grande et belle utopie qui nous tend les bras, qui n'a d'utopie plus que le nom. Ne penses tu pas que c'est le plus important, au delà de la foi, Seraph ?

ft. Viladra

ft. Jorgën Vorticera

「Hérétique bénédiction」
Le pape prit son temps avant de me répondre et je ne cherchai pas à l’interrompre dans ses réflexions. Je savais qu’il devait être mitigé dans cette étrange situation, que ma simple présence était condamnable et qu’il n’était pas censé me fréquenter au risque d’être « sali » par ma corruption. Certains seraient choqués de le voir avec moi et il pouvait même risquer de perdre son titre… Après tout, c’était la figure principale de la religion, ses mots étaient sacrés, ses actes respectés et ses décisions implacables, la logique aurait voulu qu’il tente de m’arrêter et qu’il ordonne mon immolation immédiate en guise d’exemple pour tous les hérétiques qui voudraient s’opposer à eux. Je fus agréablement surprise… Déjà parce qu’il ne me sauta pas dessus pour tenter de me tuer, et cela, ce n’est pas négligeable comme détail, mais aussi car malgré mes mots profanes, il était ouvert à la discussion et n’hésitait pas à me répondre intelligemment sans chercher à me nuire ou à m’écraser.

Son avis était intéressant bien que je prenais sa réponse comme une confirmation de son désir de rester dans l’ignorance. Tout était une question de choix, à savoir souffrir dans la  vérité et prendre la décision de l’affronter, ou se laisser porter par le déni et se complaire dans les mensonges. L’un de ces voies était ardue et difficile à arpenter, mais elle était authentique, et c’était parce que mes frères et sœurs encore adulés avaient décidé de renier ces principes que je n’avais pu les suivre plus loin. Ils nous avaient marqué comme corrompus reniant le fait que la magie les dévorait au même rythme que nous… De cette étiquette, nous n’avions que leur point de vue et je savais déjà que certains d’entre eux sombraient la folie bien plus rapidement que beaucoup des miens… Mais comment expliquer cela à un mortel qui a été élevé dans le culte le plus pur et le plus faussé ? Ce n’était pas mon rôle mais je me sentais frustrée de constater à quel point même les moins stupides pouvaient se laisser avoir avec autant de facilité.

Je retins un nouveau rire quand je l’entendis évoquer une part de bien en moi. Ne me prenez pas pour une sombre méchante des fonds obscures de cette planète, mais cette différence avec le mal était quelque chose de totalement dépassé pour moi. J’avais suffisamment vécu pour voir des personnes admirables commettre des atrocités… Et j’avais vu de véritables enfoirés effectuer des gestes d’une humanité déconcertante. Tout cela n’était qu’une question de point de vue, de contexte, et certaines de mes actions pouvaient être vues comme des actes de bonté là où d’autres y verraient de la cruauté. Souhaitais-je ouvrir les yeux de cet homme dans un but totalement désintéressé ? Ou bien le faisais-je simplement par plaisir de détruire ce qui a été mis en place dans ses idéaux et ses croyances ? Selon la raison, j’étais un héro… Ou un ennemi. Et pour ma part, je ne souhaitais être ni l’un, ni l’autre.

Comme tu le dis si bien, l’utopie n’est qu’un mythe inatteignable. Répondis-je enfin. L’empire conspire avec votre seul allié, vos divinités s’essoufflent et ne tarderont pas à vous abandonner, victimes de leur propre folie. La même d’ailleurs, qui, selon leurs dires, nous accable sans les atteindre. Vous tenez le peuple aux travers de croyances et de paroles sacrées qui ne sont basées que sur du vent et de l’inconnu. Peut-être as-tu raison de croire que rester ignorant permet d’atteindre un bonheur facile, mais pour combien de temps ? Vos dieux tiennent en respect Ellgard uniquement parce que leur réputation faussée est crainte jusque de l’autre côté du globe…

Voilà le réel problème des races éphémères… Certaines vivaient plus longtemps, mais le simple fait d’avoir une fin voilait leur jugement et ils ne réfléchissaient pas plus loin que ce qu’eux pouvaient atteindre. L’équilibre des astres étaient fragiles, Semna lui-même m’avait appris que les vingt et un se désolidarisaient, qu’il commençait à ressentir à son tour les prémices d’une magie dévorante. Nous étions tous semblables en dehors de nos divergences, il était tout de même amusant de se dire que seulement neuf d’entre nous aient succombé à la corruption… Etrangement les neufs qui se dressèrent face au reste. Il ne fallait pas être doté d’une intelligence incroyable pour voir que tout cela n’avait été qu’une excuse pour justifier la rébellion.

Préserver la paix… Repris-je, légèrement lasse. T’es-tu simplement demandé où étaient passés nos fidèles d’antan ? Les anges qui servaient ceux qu’on appelle les corrompus ? Ne t’es-tu pas demandé par quels moyens notre existence fut rayée de la mémoire des hommes ? Allons… A quoi bon parler de paix quand le chaos, l’intolérance et la fourberie se trouvent déjà au sein-même de votre religion. Le jour où vos ennemis se rendront compte de la puissance véritable des vingt et un, j’espère que tu prieras pour ta vie et celle de tes proches avec ferveur… Car c’est tout ce qu’il vous restera à faire.

Jorgën ne réfléchit pas et prit la parole lorsqu'elle eut finit son discours, il était trop indigné de ce qu'elle disait et même si c'était étrange, ils étaient d'accord. Jorgën ne digéraient toujours pas ce qu'avaient fait les 21 en 353, mais à la fois, il n'était pas pape à l'époque et avait même été victime de leur vilenie.
Ce qu'on fait les Seraphs lors de la crise de 353 est une honte et une insulte sans fin au peuple de Mearian, ils les ont prit pour des idiots assez bête pour ne pas comprendre que même des divinités puissent être corrompus. Et c'est justement pour ce genre de chose que je tiens à être pape pour les empêcher d’exercer ce genre d'abus sur la population avec leur pouvoir.  Certes, le chaos a été exercé, mais nous pouvons aussi voir les choses d'une façon plus neutre, et dire qu'ils ont évités toute perte de stabilité, n'est ce pas ? Quand bien même nous condamnons cela. Et ensuite, tu parles du fait que l'empire nous tiens en respect seulement avec eux, mais ne sous estime pas les hommes qui par le passé t'ont servis, car ils sont braves et courageux, leur foi pourrait déplacer des montagnes entières.
Il cessa de caresser sa barbe et leva son regard, il vint attraper le bout d'une branche du cerisier sous lequel ils étaient et l'arracha, elle était pleine de bourgeons. Il les observa avant de relever la tête à nouveau et de la scruter du regard.
Tu as peut être raison, les bourgeons de la discorde sont peut être proches d'éclorent en notre belle nation de Mearian, des bourgeons de l'apocalypse qui détruiront tout. Un sourire se dessina sur le visage du pontife, car il devait bel et bien céder une phrase à son interlocutrice, une phrase qu'il allait regretter mais qu'il allait quand même dire pour ne pas que sa raison en pâtisse, il le dit doucement, en posant par terre ce bout de branche.

Si cela peut te rassurer, lorsque je verrai que j'ai tord, si ce que tu dis est vrai, j'accepterai cette réalité. Mais tant que le débat est ouvert, je serai du coté que je pense le plus vrai. Il sourit doucement, et craqua ses doigts avec une certaine lassitude, une habitude faite pour occuper ses mains et en rien pour se préparer à un combat, il le faisait un à un. Avec le temps, le pape avait créer une résilience chez lui, c'était pour cela qu'il avouait sans honte à l'une des 9 plus grands hérétiques de ce monde que si tout était faux, il accepterait sans problème, tout simplement car toutes les souffrances qu'il avait subis lui avaient apprit à le supporter. Mais quand bien même toute notre foi à tous effondrerait, je resterai présent pour le peuple de Mearian, car j'ai avec le temps appris à l'aimer au delà de sa foi qui pourrait disparaître. Je serai présent pour le diriger s'il faut, ou pour l'aider comme je le peux, l'amour fraternel que je porte aux Mearianiens est au delà de la religion, il est humain. Mais toi, pourquoi faire cela ? Tu aurais pu très bien être d'un avis contraire aux tiens à l'intérieur même de Mearian. Quelle corruption t'a prise, car je ne vois que cela comme raison valable de ton départ, si ce n'est que tu préfères la chute violente d'un régime à son changement lent et en paix.
Jorgën taisait par la parole et dans son esprit une éventualité qui lui faisait peur. Et qu'il préférait ignorer plutôt que de concevoir. Celle où les seraphs se seraient éliminés entre eux.

ft. Viladra

ft. Jorgën Vorticera

「Hérétique bénédiction」
Je sentais que mes paroles dérangeaient le pontife, mais je me demandais si c’était pour leur contenu hérétique ou si c’était parce qu’elles sonnaient étrangement vraies sur certains aspects. Il ne perdit pas de temps pour enchaîner, défendant comme il le pouvait la foi de ses fidèles et la force qu’elle représentait. Fut un temps, moi aussi je croyais en cette puissance d’âme, pensant que vouloir suffisait à renverser des montagnes et que la seule ferveur d’une pure conviction pouvait tout vaincre. Puis j’avais vu les batailles, des affrontements où des innocents avaient misérablement péri sous les coups des plus horribles personnages de ce monde. Rien, ni leur croyance, ni leur amour de leurs dieux ne les avaient sauvés d’une mort certaine. Alors oui, on pouvait s’accrocher autant que l’on voulait à quelque principe que ce soit, mais cela ne pouvait pas compenser face à une armée ou une magie destructrice.

Le laissant reprendre son souffle tandis qu’il cassait une branche de cerisier, il finit néanmoins par lâcher un léger accord quant à mon point de vue. Il avait conscience que le danger rodait de plus en plus autour de sa nation et il ne fallait pas être un expert dans la politique pour deviner que si Akantha et Ellgard venaient à s’allier, Mearian se retrouverait irrémédiablement en position de faiblesse. Les magisters et les archmagisters étaient puissants et j’avais déjà eu des exemples de leurs capacités, mais ils ne tiendraient jamais un siège si deux armées les assaillaient… Et leurs dieux se retrouveraient impuissants, victimes de leurs mensonges et de leur tromperie. Cette chute me serait agréable, je ne le cachais pas, mais je n’étais pas suffisamment un monstre pour me délecter de la mort de milliers d’innocents. Seuls les usurpateurs, détruits, combleraient mon plaisir… Et en tant qu’ancienne déesse du désir, ce ne serait pas un moindre sentiment.

Il termina par me demander la raison de mon départ, pourquoi la corruption m’avait atteinte et quels avaient été mes objectifs pour que je prenne la décision d’abandonner le luxe, le pouvoir et la puissance que m’apportait mon ancien statut. Je lui avais fait part quelques minutes avant de mon point de vue en ce qui concernait de voir la vie, elle n’était qu’une succession de choix et les miens avaient été dictés par la volonté de vivre dans une cruelle vérité qu’entourée de doux et délicats mensonges. J’étais égoïste, je le savais et je ne le niais pas… Je ne vivais que pour moi, mes intérêts et ceux des rares personnes que j’estimais. Le monde pouvait bien s’effondrer autour de moi, tant que rien ne m’arrivait, cela m’était plus ou moins égal ; mais pourtant, j’exécrais l’Ordre des Astres pour ce qu’ils faisaient, salissant un monde déjà condamné, leur influence s’étendant jusqu’aux confins de cette planète. Peut-être était-ce un reste de mon humanité, celle qui jadis me faisait penser au bien des autres avant ma personne, mais ce temps remontait à si loin…

C’est une bonne chose qu’une personne comme toi se trouve aux commandes d’une nation aussi crédule que Mearian. Me décidais-je enfin à répondre. Mais ne nous voilons pas la face, en continuant ainsi, votre fin est déjà inscrite… Vous vous consolerez au travers des chants et des poèmes qui se rédigeront en votre honneur lorsque votre foi sera écrasée, ou que vos dieux seront démasqués.

Que de cynisme au travers de mots que je jugeais pourtant vrais. Il n’était pas stupide, il en avait conscience aussi et ses craintes étaient fondées… Si l’Ordre ne se faisait pas anéantir par leurs ennemis, il commençait déjà à s’étioler et cette structure autrefois si solide s’effondrerait d’elle-même comme un château de cartes. Semna m’avait récemment fait part de l’absence de certains de ses membres, du détachement de d’autres et d’un semblant de folie qui les gagnait sans qu’ils ne puissent rien y faire. Au final, c’était à se demander si ceux qu’ils appelaient les corrompus n’avaient pas un point de vue plus réaliste et plus terre à terre que leurs esprits voilés…

Par ta question, repris-je, je vois que le lavage de cerveaux s’est montré efficace… Ainsi, leur unique excuse concernant notre départ se base uniquement sur une prétendue corruption ? Tout cela serait donc aussi simple ? Des méchants, des gentils, une bataille et le bien triomphe sur le mal ? Non, ne soyons pas aussi simplistes que cela, ce serait stupide et insultant.

Je ne pus m’empêcher de sourire une nouvelle fois bien qu’aucune ironie ne vint déformer cette esquisse. Si notre existence avait été effacée, je remarquais qu’ils ne s’étaient pas cassés la tête à trouver une explication plausible et qui tienne la route. Il n’y avait que des fidèles fermés d’esprit qui pouvaient penser qu’une poignée de dieux finissaient par sombrer dans la folie sans aucune raison. Il y avait toujours des explications, mais fallait-il encore avoir le désir de les connaître… Car la vérité pouvait être destructrice.

Penses-tu réellement que nous sommes les monstres assoiffés de sang qu’ils dépeignent ? Lui demandais-je, toujours en souriant. Que notre but est de détruire tout ce qui nous entoure afin de répandre le chaos gratuitement ? Si c’était le cas, que ferais-je là, moi âme corrompue, à bavasser avec celui qui est censé être l’une de nos cibles prioritaires ? Si on suivait cette logique, cela ferait longtemps que j’aurais tenté de t’écraser sans même t’adresser un mot, mon père…

Et pourtant, si je l’avais croisé juste après la rébellion, ma rage et ma tristesse m’auraient sans doute poussé à le faire. Mais malgré notre statut d’ange supérieur, les sentiments et les émotions nous habitaient aussi, et bon nombre d’êtres blessés avaient agi sous un coup de folie. Ce n’était pas propre aux séraph et faire croire le contraire était écœurant.

Je ne souhaite pas voir les citoyens de Mearian à feu et à sang. Leur existence m’importe peu, ils ne me sont plus liés désormais… Ce que je ressens envers mes anciens confrères relève de souvenirs et d’actes qui me sont personnels. A quoi bon rester au sein de leur rang si ce n’est pour faire semblant ? Tôt ou tard, mon point de vue concernant cette usurpation aurait transparu et j’aurais été forcée de fuir. J’ai saisi l’occasion de la rébellion pour disparaître, tout simplement… Et les motifs de ceux qui ont fait de même me sont pour la plupart mystérieux. Je doute en revanche que tout cela n’ait été causé par un simple coup de folie, car la corruption dont on vous parle, n’est qu’un mot utilisé pour remplacer la réalité. Notre race est extrêmement liée à la magie, elle nous habite et nous vivons avec elle dans une osmose parfaite jusqu’à un certain point… Au final, nous sommes destinés à nous laisser gangréner et à nous faire dévorer par elle, ce qui trouble à terme notre jugement et nous fait perdre notre humanité.

Me redressant alors pour étirer mes muscles endoloris, je ramenai une jambe contre ma poitrine, appuyant un coude sur mon genou. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas autant exprimée, je n’avais plus l’habitude de me sociabiliser autant…

Si cela te permet de ne pas craindre tes dieux, tu peux continuer de penser que nous sommes des corrompus qui ont trahi l’Ordre pour le simple plaisir morbide de semer la guerre et le chaos. Mais tu n’es pas aussi naïf même si ta foi atténue ta raison… Les séraph purs et les séraph qui ne le sont plus sont de la même engeance. Ce qui atteint les uns, touche les autres sans différence… Et peut-être serait-il temps de casser ces clichés manichéens et d’ouvrir les yeux sur ce qu’il se passe réellement entre vos murs.


Un sourire qu'on pourrait presque qualifier de malicieux se créa durant la conversation, Jorgën avait peu à peu compris que son interlocutrice ne comptait pas vraiment le convaincre, et qu'il avait une certaine liberté de parole dans ses réponses. Il la regarda, lorsqu'elle demanda si tout était si simple, elle avait parfaitement raison en un sens, rien n'était aussi simple que gentil ou méchant, Jorgën ne pouvait pas se voiler la face sur ces aspects là. Il savait et c'était évident que tout n'était pas si simple, qu'il n'y avait pas de bien ou de mal absolu, que le gris dominait.. Mais à la fois, la clé de voûte de toutes ces questions était l'identité et la perfection des Seraphs. S'ils étaient les Dieux, et Jorgën le pensait, tout cela était vrai, le manichéisme devenait immédiatement vrai et cette seraph corrompue n'était qu'une manipulatrice perdue qui cherchait à amener le pape sur un mauvais terrain pour faire vaciller l'ordre des Astres. Mais quand bien même on voulait ne pas y croire et on continuait de penser les Seraphs comme ses Dieux, il y avait une toute petite partie de chaque être qui continuait de douter. C'était là toute la force des rumeurs, elles sont sournoises car ce qu'elles insufflent dans les êtres ne peut être jamais effacé complètement, une petite part de doute subsiste toujours. Cette horreur peut aussi être vu comme un formidable moyen de créer une remise en question certaine chez la cible, mais à quel prix de tiraillement interne ? Elle lui demandait s'il pensait vraiment que les 9 étaient des monstres corrompus et assoiffés de sang, elle lui affirmait 1000 choses que son esprit de croyant n'aurait jamais pu penser seul. Réfléchissez y, Foi vient de confiance, faire confiance, c'est ne pas questionner en un sens, c'est se remettre à une autorité qu'on pense supérieur, il n'y a donc aucune raison de vouloir la comprendre, puisqu'on lui fait confiance...

Jorgën était dubitatif. Qui croire ? Les évidences et les faits la mettaient elle dans le camp des fous, son expérience et ses sentiments pouvait il vraiment servir de preuve face à tout ce qui avait été battit sur ses croyances sur la puissance des Seraphs ? Encore une fois, la réaction divine lors de la crise des neufs les mit dans une situation   ambigu aux yeux du pape, il ne savait plus qui croire. Que ce soit elle la manipulatrice ou eux les démons exploitant le peuple, quel était le mieux ? Ou le moins pire ? La souffrance qu'avait subit dans sa vie le pape n'avait été résorbé que par l'amour temporel et limité, menant à la souffrance, ou bien sa foi illimitée, ne lui apportant qu'amour. Il avait regardé le sol tout en réfléchissant pendant qu'elle parlait. Qui avait raison ? Quelle était la vérité ? La vérité existait seulement ? Ces questions fouettaient son corps autant que celui d'un hérétique. Il les releva et regarda avec gravité son interlocutrice, des yeux solennels. Il prit la parole après une bonne minute de silence, coupant même le bruit du vent et le chant des maîtres du ciel et de la terre.
Ce que tu affirmes est grave, Messie tombée aux ténèbres, mais serais tu prêtes à réellement porter cette lanterne dont tu sembles parler mais sans vouloir en avoir le fardeau ? Je ne te parle pas ici de la lanterne qui éclaire le chemin, mais de celle qui rayonne par la raison les cœurs prit par l'émotion et qui sort du mensonge. Tu l'as vu, je suis un homme de raison, je ne crois que ce que je vois, je me suis convertis il y a bien longtemps, presque 150 années en arrière, quand j'avais les preuves de la divinité Seraphienne face à mes yeux, et rien ne m'a prouvé le contraire. Jorgën ne perdit par son air sérieux, cette discussion était capitale, cette question d'une importance plus que divine. Comme je l'ai dis, ce que tu affirmes est grave, alors dis moi, es tu prête à me prouver tes dires ? Me prouver que ces Dieux sont de fausses idoles, me prouver que tu n'es pas dévorée par le mal et la corruption destructrice comme tu l'affirmes. Si tel est le cas, je détruirai l'Ordre moi même, pierre par pierre et de l'intérieur, comme un arbre se laissant mourir. Mais si tu m'as mentis depuis le début, je te garantirai que notre prochaine rencontre serait sous une augure funeste. Il n'avait perdu aucune trace de son sérieux, il était prêt à tout entendre tant que c'était sensé à présent, le temps c'était comme arrêté pour cet instant précis, un moment peut être clivant pour le destin d'une nation se jouait dès maintenant.

ft. Viladra

ft. Jorgën Vorticera

「Hérétique bénédiction」
Il était difficile d’accepter une cruelle vérité lorsqu’elle détruisait ce pour quoi on s’était battu toute sa vie. Je n’étais pas venue ici répandre la parole véritable afin d’ouvrir les esprits afin de me donner bonne conscience, et peut-être que la prochaine fois que je croiserai cet homme, il me faudra alors le tuer. Lorsque l’on avait vécu aussi longtemps, que l’immortalité pesait lourdement sur nos épaules, on finissait par devenir indifférent face à la mort de ceux qui nous entouraient. Pâle existence éphémère, les êtres vivants de cette planète naissaient, évoluaient et périssaient en un courant d’air, ne me laissant aucun souvenir pour la plupart… Alors pourquoi étais-je encore en train de perdre mon temps en compagnie du prêcheur de mes ennemis ? Pourquoi ne me contentais-je pas de l’égorger comme tous ceux qui, jadis, avaient tenté de me convaincre de me ramener sur ce qu’ils pensaient être la bonne voie ? Peut-être était-ce ceci ma propre folie, celle de baigner dans l’instabilité, un équilibre psychique bancale qui me faisait passer du tout au tout. Etait-il dans le même état d’esprit maintenant que je venais d’insuffler le doute dans son esprit ? Ou arrivait-il à posséder la force de garder les idées claires…

Le long silence qui suivit ma tirade m’apporta un semblant de réponse et j’esquissai l’ombre d’un sourire, masqué par une mèche de ma longue chevelure de jais. Aussi influent pouvait-il être, quelle que soit sa puissance et son pouvoir au sein de la nation des dieux, il restait tout de même habité par des sentiments et des émotions le poussant à osciller au milieu de choix parfois imposés. Quand il finit par rouvrir ses paupières s’étant fermées sur une réflexion interne, son regard plongea dans le mien, habité par une calme détermination. Avant même qu’il ne reprenne la parole, je devinai ce qu’il allait me demander… Pourquoi devait-il me croire, moi, être corrompu, alors qu’il avait toujours été entouré d’une autre vérité ? Une preuve… Mais pensait-il que décrire le véritable aspect des séraphs était aussi simple ? Que je n’avais qu’à claquer des doigts pour lui montrer ce qu’il demandait ? Peut-être me serait-il plus simple de détruire l’un des miens et de lui ramener son corps pour prouver notre vulnérabilité là où il ne voyait qu’une perfection invincible…

Sortant alors une lame de jet, je la fis brièvement tournoyer entre mes doigts, ne montrant néanmoins aucun signe d’agressivité. Comment allais-je faire… Et surtout, jusqu’où avais-je envie de défendre mon point de vue ? Cela ne m’importait pas et m’atteignait plus, au final. Je n’avais pas besoin de sa bénédiction ni de son approbation pour accomplir mes objectifs… Mais cette discussion, que je craignais ennuyeuse, avait pris une tournure intéressante et il était dommage d’y couper court à la première difficulté.

Tu as raison de te demander une preuve de ce que j’avance, commençais-je alors, et surtout pourquoi me croire alors que tes dieux m’ont catégorisé comme corrompue. Un mot si triste et si amusant à la fois… Seulement, pourquoi ne pas retourner la question ? Quelles sont les fameuses preuves dont tu parles ? Quelques tours de magie ? De belles et grandes paroles écrites sur des livres saints aux lettres d’or ? Allons, parlons en de tes dieux… Où étaient Abnégation et Justice lorsqu’ils acceptèrent l’esclavage sur vos terres dorées ? Où se trouvaient Amour, Prudence et Tempérance lorsqu’ils déclarèrent la guerre à Ellgard parce qu’ils ne suivaient pas vos principes ? Qu’ont donc fait humilité, Bonté et Patience lorsque des frères ont divergé des mensonges incessants ? Etaient-ils tous absent lorsque ces décisions ont été prises ? Que c’est amusant ces coïncidences…

Lâchant un nouveau soupir, je marquai une légère pause, ne voulant pas le noyer sous un flot de parole et ne souhaitant pas m’emporter dans la rancœur qui m’envahissait.

Vous érigez des temples et adorez des personnes qui n’hésitent pas à massacrer et annihiler tous ceux qui s’opposent à eux… Certains en ont peut-être pris conscience, d’autres ont peut-être sombré dans la folie, peu importe les raisons… Mais lorsque neuf d’entre nous ont décidé de se rebeller, que s’est-il passé ? Nous avons été considérés comme des impies, des corrompus pour avoir osé détruire cette tyrannie pseudo-divine qui est en place. Mais il n’y a eu aucun acte divin dans tout cela. Nous sommes plus puissants que la plupart des races de cette terre car nous avons un lien privilégié avec la magie, tout simplement…

Levant ma lame, je traçai alors une ligne sanglante sur ma paume, laissant un filet écarlate couler le long de mon poignet.

Nous sommes aussi vulnérables que n’importe qui, peut-être même plus que la plupart lorsque nous nous cachons sous une forme innocente afin de mieux vous tromper. Nous saignons, nous souffrons comme vous, nous sommes imparfaits. Mearian vénère donc des divinités imparfaites, sujettes aux sentiments les plus vils comme la colère, l’intolérance et l’égocentrisme ? Alors si vous le faites en votre âme et conscience, je n’ai pas à chercher à te convaincre…

Posant ma main dans l’herbe, je laissai le sang perler dans l’herbe avant de faire disparaître ma lame dans les replis de mes vêtements.

Ou alors, je me trompe de question, et il faudrait plutôt se demander : qu’est-ce qu’un dieu, pour toi ? Un simple être plus puissant que vous ? Dans ce cas oui, les séraph en sont, et corruption ou pas, je retrouve alors mon titre… Mais n’importe quelle personne dotée d’un talent et d’un bon entrainement finira toujours par pouvoir nous égaler. Alors, serait-ce plutôt des êtres désintéressés qui ne pensaient qu’au bien du peuple ? Analyse donc tes lois, regarde les châtiments infligés et demande toi s’il se trouve là des décisions objectives sans désir d’assujettir le peuple… Donc je te pose la question, que sont-ils pour toi, ces séraph ?

Jorgën préparait déjà sa réponse alors que la Messie tombée aux ténèbres parlait encore et encore. Elle semblait vouloir une chose claire, dénoncer le fanatisme de Mearian, mais qui était obsédée par un sujet sinon elle ? Elle répétait les mêmes choses, comme si Jorgën ne les avait pas comprise la première fois, c'était peut être vexant en un sens, mais le pape était au dessus de tout ça, lui le premier avait comprit  il y a longtemps à quel point l'esprit était enclin à sombrer dans les passions et les répétitions. Il la laissa alors parler, elle avait raison sur certains points, l'esclavage encore actif était une honte, Jorgën ne pouvait qu'acquiescer face à se plaidoyer. Il n'y avait jamais vraiment pensé, car personne ne lui en avait parlé et aussi car il n'y avait pas vraiment de contact avec des esclaves à Mearian, et même si leur nombre était ridicule par rapport à ceux d'Akantha, il fallait se pencher sur leur cas... Jorgën pensait plus aux miséreux qu'à eux, en temps général. Il n'avait pas envie d'évoquer ou de parler de la guerre avec Ellgard, car il ne parlait de sa vengeance avec personne, c'était son livre fermé duquel il ne parlerait jamais, pas même dans ses mémoires, une haine qu'il gardait pour lui et pour lui seul, il devait en protéger tout le monde, qui serait le pape s'il n'était qu'un être animé par la haine et l'envie de vengeance comme les autres, hein ?
Peut être que la jeune femme avait raison, cette crise des 9 n'avait peut être pas été une corruption des Dieux mais bel et bien... Une tentative de schisme ? Le mot était fort … C'était dur à croire, les seraphs seraient-ils vraiment allés jusqu'à détruire une opposition venant même de leur frères divins ? Mais même si au fond la seraph semblait honnête, quelque chose clochait dans son discours, quelque chose qui sonnait « faux » ou beaucoup trop manichéen pour le discours objectif et plein de vérité qu'elle semblait dresser. Elle disait vouloir balayer le bien et le mal, mais que faisait-elle sinon inverser les positions en mettant les neuf comme des martyrs et les 21 comme des bourreaux aimés du peuple ? Jorgën ne contrôlait plus ses idées, elles fusaient en tout sens, on arrivait aux limites de la pensée, celle sans aucune preuve factuelle, le cul de sac était proche et peut être avec lui, la fin de la conversation. Elle se faisait saigner tout parlant de se cacher sous une autre forme... Etait-ce... Un implicite malicieusement inséré dans son discours ? Jorgën pouvait facilement croire que même les Dieux sous leur forme matérielle pouvait saigner, craindre ou aimer, mais là, elle était entrain de dire une toute autre chose. Il décida de ne pas en parler directement pour voir si elle allait mordre à son hameçon ou si c'était ce qu'elle avait prévue.

- Tu dis que n'importe qui avec de l’entraînement pourrait les battre ? Voila une preuve qui pourrait être intéressante, Messie tombée du ciel. Jorgën resta dubitatif, mais sourit de façon provocatrice. Si je reprend mes entraînements, je pourrais devenir bien plus fort que je ne le suis, je ne suis pas un dirigeant de terrain. Tu veux donc me faire croire que je pourrais même les vaincre eux ? Donc plus fort que toi ? Il laissa un petit silence en suspens après cette question, un silence avec un tel ton qu'il allait enchaîner, et c'était sûr. Il sourit. Vous avez donc une vrai forme, n'est ce pas ? Cela faisait tout à coup sens dans l'esprit de Jorgën, une forme immatérielle ou divine et une forme plus humaine pour la dissimuler, voilà qui était beaucoup plus sensé que ce qu'on pourrait imaginer, mais la question était maintenant de savoir pourquoi les Seraphs dissimulaient une telle forme à la population... Jorgën allait peut être le comprendre très vite.

ft. Viladra

ft. Jorgën Vorticera

「Hérétique bénédiction」
Le pape ne relança pas le sujet sur la notion de ce qui était bien ou pas, mais fonça directement vers la brèche que j’avais ouverte. S’attardant sur la faiblesse des séraph que j’avais évoquée, il ne perdit pas non plus de temps à me souligner la forme véritable que nous possédions. De tous les représentants de l’Ordre, seule la grande prêtresse avait eu l’honneur de voir nos aspects divins et encore, bon nombre de mes confrères avaient refusé de la dévoiler, se contentant de communiquer leurs directives et leurs paroles aux travers d’intermédiaires. Pour ma part, j’avais du lui montrer peut-être une ou deux fois, n’étant pas très impliquée dans l’aspect religieux de Mearian et préférant me mêler à mes fidèles de façon incognito afin de mieux cerner leurs besoins. Ah, quel temps lointain… Me soucier du bien-être de ces petites personnes grouillant dans la capitale ou au sein de mes temples était un souvenir lointain qui ne me donnait absolument plus envie désormais.

Pour répondre à ta question, Dryade, il serait compliqué pour toi de rattraper des siècles d’apprentissage de magie et de puissance. Mais qui sait, certains mortels ont déjà eu l’occasion de tenir tête à des seraph malgré leur courte existence… Donc oui, notre avantage ne se trouve pas que dans la relation particulière que nous avons avec l’énergie, mais aussi dans notre longévité. En revanche, n’importe quelle race pouvant prétendre à une durée de vie allongée ou illimitée peut aisément atteindre notre niveau au bout de quelques temps. Je te déconseille en revanche de t’en prendre à l’un des miens pour le moment, j’ai acquis la capacité de ressentir la magie chez les êtres qui m’entourent et si ta puissance est appréciable, elle n’égale pas encore la notre… Du moins, la plupart d’entre nous.

Oui, je pouvais ressentir sa quantité magique mais elle était encore limitée et si mes confrères avaient évolué à la même vitesse que moi, il n’était pas encore au niveau. Arrivait-il à la fin de sa vie ? Combien de temps lui restait-il ? Selon les réponses, peut-être arriverait-il un jour à tenir tête à l’un de ses dieux, et sans doute qu’à ce moment-là il comprendrait que nous ne sommes pas invincibles… A défaut d’être extrêmement forts.
Souriant légèrement, je ne pus m’empêcher de rajouter une pique que je savais être égocentrique.

En revanche, si tu penses que l’un de tes dieux est capable de me tenir tête facilement… Tu te méprends lourdement. Comme je te l’ai dit, nous sommes de la même engeance… Que l’un de nous soit élevé au statut de divin ne lui apporte rien de plus, seule sa force compte, et elle n’est pas plus élevée grâce à sa place dans la hiérarchie Mearian.

Me levant alors, j’époussetai distraitement les brins d’herbe et les feuilles s’étant accrochés à mes vêtements, rejetant délicatement ma chevelure en arrière. Ce que j’allais faire m’étonnait, ce n’était pas mon genre de montrer mon apparence véritable… Les rares personnes l’ayant vue et étant encore de ce monde avaient souvent été surprises, voire choquées, de constater qu’il existait de telle créature. Il était d’autant plus difficilement concevable de savoir que chaque séraph possédait une apparence qui lui était propre, comme si cela était notre seule véritable différenciation.

Pour t’expliquer l’une des raisons pour laquelle nous ne la dévoilons pas, c’est que sous forme humaine, notre puissance est amoindrie. Nous ne nous faisons ainsi pas remarquer et nous pouvons nous glisser au milieu des foules aisément sans que les gens ne se mettent à hurler en nous montrant du doigt…. Si un jour tu es amené à devoir te battre contre un seraph, méfie toi s’il ne sort pas son véritable aspect. Cela signifie que même sans être au maximum de ses capacités, il estime qu’il pourra te vaincre sans problème.

Sans même un claquement de doigt, une invocation ou quoique ce soit, une flamme orangée m’envahit brusquement, le temps d’une fraction de seconde. Lorsqu’elle disparut, mon aspect s’était modifié en une apparence que certains jugeaient monstrueuses. La peau d’un noir de jais, du feu remplaçant ma chevelure, je lévitais au-dessus du sol comme un ange déchu dont on avait ôté les ailes. D’étranges signes cabalistiques ornaient mes vêtements constitués de plaques métalliques au fil d’or tandis que mes yeux avaient laissé place à un visage lisse et inexpressif. Je m’estimais néanmoins chanceuse, je n’avais pas hérité de l’aspect séraphin le plus repoussant en soi et bon nombre de mes confrères avaient parfois souligné avec humour ce côté-là.
Il était néanmoins grisant de ressentir ma magie m’envahir dans sa plénitude, de pouvoir savourer ma puissance à son apogée.

Jadis, repris-je d’une voix plus austère, les rares élus ayant posé leurs yeux sur mon apparence divine s’agenouillaient à cette vision. Trouves-tu cela aussi divin que ce que tu le pensais, mon père… ? Ou commences-tu à comprendre notre véritable nature…


Un déglutissement traversa le pontife. Quelle était cette chose ? Etait ce une malice magique pour passer outre sa raison ou bien était ce l'horrible vérité piquant la rétine. Un dégout profond se fit ressentir. Il n'y avait rien de la beauté métaphysique et suprême ici, Jorgën aurait pu être dans un déni total mais non, il fallait être honnête, ce n'était qu'une forme repoussante qui se dressait en face de lui, rien de plus. Il avait du mal à y croire, malgré sa bonne foi envers son interlocutrice et toute l'attention qu'il pouvait lui porter, pouvait-il croire une corrompue sur parole ? N'était-ce pas qu'un tour de passe passe pour le faire tomber dans le péché et ainsi le souiller de la marque indélébile de l'impiété ? Le doute s'installait tel un poison en lui, le serpent corrompu avait finalement réussit, son apparence « véritable » n'avait rien de divin et à présent, le pape ne savait plus en quoi croire. Certes, on pouvait mettre sur le dos de celle ci le masque du mensonge et de la fourberie, mais est ce que quelqu'un d'aussi cynique et mal attentionné pour Mearian ferait cela ? Ne tuerait-il juste pas le pape afin de tout terminer ? C'est Exact... Excepté si le sadisme de cette personne dépasse toute borne et qu'elle veut voir Mearian brûler depuis sa propre cheminée. Le pontife suprême regarda la créature.
Telle une statue, c'est comme si d'une seconde à l'autre le pontife se terra dans un silence inquiétant, un silence de doute et de réflexion, il écouta son interlocutrice sans plus réagir ni la couper par ses réactions faciales ou même par une bouche s'ouvrant sans qu'aucun son n'en sorte. La vrai nature des seraphs... Comment tout cela pouvait être vrai, cela semblait fantastique, mais l'imagination fertile du pontife trouvait cela trop fantastique, même si... Pourquoi pas ? Pourquoi ne pas y penser, l'envisager, ne serait-ce que dans le cadre de la pensée. S'accorder le luxe de remettre en question la chose qu'on dirige depuis si longtemps... Non, c'était trop... Le pape rencontrait en lui de la résistance, c'était mal. Il restait silencieux comme un moine.

. . .

Plusieurs longues minutes silencieuses se déroulèrent, dans lesquelles le pape fixa le vide, voir ferma les yeux pour mieux réfléchir. C'est d'un instant à l'autre, qu'il se leva en reprenant son bâton, et cela sans prévenir. Il resta d'un regard neutre et vide, comme à son habitude, puis vint fixer d'un air plus doux et attendrit la séraph. Il sentait un être incompris en elle, un être souffrant d'une vérité que personne ne peut comprendre comme étant ce qu'elle est. « Merci pour cette discussion, très chère, je vais réfléchir à tout cela. J'espère que vous avez tord, mais à la fois, je vous promet un repas si vous avez raison. » Dit il sur un ton amusé, presque trop détendu pour la gravité de la situation. Sans attendre de réponse, il se retourna et commença à s'en aller, sans aucune frayeur de tourner le dos à un tel être. Elle ne lui paraissait pas si mauvaise.