lune complice, astres vices

Fin 417 ─ Hauteurs d'Everbright ─ RP SOLO

« Let me tell you this: if you meet a loner, no matter what they tell you, it's not because they enjoy solitude. It's because they have tried to blend into the world before, and people continue to disappoint them. » ─ Jodi Picoult

Avancer n'était pas un choix. Avancer était une nécessité. Mais il arrivait parfois des instants, coincés entre deux pas, comme si le temps s'arrêtait. Des instants où une brusque estafilade balafrait le chemin infini, obscur mais toujours droit, inconnu mais toujours présent de la route que Vasilisa s'était taillé à coup crocs dans la chair. A coup d'acharnement et d’ironie incisive. Sa route était dure, sa route était sanglante et brutale, terrible. Monstrueuse. Mais en ces moments figés, elle observait le vide derrière elle, et le vide l'observait en retour, comme un titanesque fardeau sur ses épaules, comme les murmures vengeurs des chemins auxquels elle avait mit fin par le biais de ses lames. S'arrêter avait pour elle la saveur de la fatalité, la fragrance de la mort. Inévitable et tendre. Vasilisa n'avait jamais été rattaché à rien si ce n'est à sa propre vie et liberté. Vasilisa n'avait jamais été rattachée à personne, n'avait jamais éprouvé quelconque loyauté envers qui que ce soit, n'avait jamais même éprouver le besoin d'en ressentir. Son chemin était seul et couvert de cendres. Alors pourquoi ? Pourquoi diable la rage l'avait-elle possédée de cette façon ? Pourquoi s'était-elle sentie obligée de s'enfermée dans l'une de ses tanières pour y briser chaque chose à l'intérieur, jusqu'au moindre objet insignifiant, chaque petit sentiment qu'elle sentait s'agiter au fond d'elle, sans que cela ne puisse apaiser la fureur qui baignait ses pensées ?

Et elle avait hurlé sa haine à s'en briser la voix. Et elle avait hurlé sa frustration au monde, son sentiment de trahison, jusqu'à sentir un grand vide l'emplir complètement, immense et glacial. Jusqu'à ce que sa gorge soit rauque d'avoir trop crié, jusqu'à ce que les jointures de ses poings soient maculés de son propre sang à force de frapper sur les murs de pierre brute. Elle avait sentie la lassitude l'engloutir, à l'intolérable fragrance de détresse. De la déception amère. Une fois de plus, le monde lui rappelait que les monstres comme elle faisaient toujours cavalier seul. Elle était restée de longues heures, prostrée, absente, à observer ce vide qui grandissait en elle, immense, obscur et presque rassurant. Le même vide qu'elle voyait lorsqu'elle se retournait, entre deux pas sur sa route couleur écarlate. Vasilisa n'avait pas besoin d'en parler avec qui que ce soit pour deviner qu'elle avait vécu l'abandon de son partenaire comme un deuil à part entière. Elle ne savait juste plus à quelle étape elle en était. Et elle se disait sans doute qu'il s'agissait au final du craquement de son ego brisé, et non de son cœur qui s'était réduit en miettes. Elle n'en avait pas, après tout. Elle se l'était assez affirmé pour le savoir. Tout ceci ne lui ressemblait pas. Et la voilà à se voiler la face, perchée sur le toit d'un des plus hauts bâtiments d'Everbright, ne sachant elle-même pas vraiment comment elle s'y était retrouvée. Elle devinait que les cadavres de bouteilles de courage liquide à ses côtés n'étaient pas étrangères à ce singulier état des faits.

Elle sentait son esprit tournoyer dans son crâne comme des volutes de fumée sombre, comptant ses pensées moroses comme tant de moutons funèbres, sous la lueur lunaire de la voûte nocturne. Elle adressa un sourire moqueur et aiguisé à la lune, sans attendre de réponse de sa part. Elle ne se sentait guère mieux. La rage était partie, laissant dans son sillage ce grand silence oppressant. Elle préférait la colère à cette lassitude qui lui glaçait les os. Jamais l'absence de bruit ne l'avait autant dérangé. Elle se mit à fredonner une chanson quelconque qu'elle avait entendu interprété par quelques musiciens de la ville, juste pour faire taire son effrayant mutisme intérieur. Une chanson qui parlait de couleur, d'amour et de douceur sans doute. N'en parlaient-elles pas toutes ? A cette pensée, la flamme de la rage se raviva, douloureuse. Désespérée. Ses murmures se perdirent dans la nuit et elle sera la mâchoire alors qu'elle envoyait une bouteille s'écraser près d'une cinquantaine de mètres plus bas d'un geste rageur. Elle suivit du regard sa chute avec attention, se demandant de quelle façon son corps se tordrait sur les pavés s'il lui prenait l'idée de l'imiter. Elle s'affaissa contre la pente du toit, son long manteau comme une flaque d'encre autour d'elle, un rire terrible et amer la secouant en prenant conscience de l'état dans lequel elle était.

Pathétique s'asséna-t-elle, le mot faisant de multiples échos dans son esprit, comme un caillou lancé dans un puits qui ricoche sans fin, sans jamais atteindre le fond de l'abîme qui l'habitait, familière. Elle posa son avant bras sur son visage, l'effaçant aux yeux du ciel.

Avancer n'était pas un choix. Avancer était une nécessité. Et jamais ne te retourne.
Mais pour l'instant, seule la lune complice serait témoin des larmes qui ruisselaient le long de son visage.